Guillaume de Tonquédec : « le théâtre est le lieu de la rigueur absolue »

On le connaissait surtout pour ses rôles à la télévision ou au cinéma. Mais Guillaume de Tonquédec est aussi et surtout un homme de théâtre. La preuve avec cet entretien.

© Bernard Richebé

Dans “La Garçonnière” au Théâtre de Paris, il joue le rôle de M. Baxter, un petit employé de bureau qui, en pensant s’assurer une promotion, prête son appartement à ses supérieurs pour des parties de jambes en l’air. Cette comédie adapte sur scène le film mythique de Billy Wilder, dans le décor somptueux du New-York enfumé de la fin des années 1950. L’humour est tout aussi cruel que les personnages sont désespérés. Et le thème parfaitement d’actualité.

© Céline Nieszawer

Votre actualité théâtrale est très chargée en cette fin d’année. Qu’est-ce qui vous anime autant à monter sur les planches ?

Le théâtre, je crois que c’est le lieu de la rigueur absolue. C’est l’école de l’excellence. On ne peut pas tricher. Au cinéma, on peut toujours refaire une prise. Au théâtre, une fois que le rideau est levé, il faut jouer la pièce d’un bout à l’autre devant le public et la sanction est immédiate. Quand on joue, on sent toujours si le public est perdu ou avec nous. Et puis la teneur des applaudissements est révélatrice. C’est bien d’avoir des rendez-vous réguliers au théâtre pour se remettre en question, pour pousser plus loin notre réflexion sur notre métier de comédien.

Où trouvez-vous l’inspiration pour construire vos personnages et vous renouveler ?

Le renouvellement, c’est l’auteur. C’est la nourriture, la matière première offerte par l’écriture des auteurs qui permet de se renouveler, de faire travailler son imaginaire et d’aller sur d’autres pas que ceux de la veille. Les grands auteurs ont le sens des situations et des dialogues et, du coup, ils sont inépuisables. On découvre des choses de la première répétition à la dernière représentation. Et puis, il y a aussi, bien sûr, les partenaires et le metteur en scène.

Parlez-nous de “La Garçonnière” au Théâtre de Paris. Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario de Billy Wilder ?

De par l’engagement que j’y ai mis, je crois pouvoir oser dire que “La Garçonnière” est l’un de mes spectacles préférés. Le spectacle ne devait pas exister, personne n’en voulait à Paris. Il était considéré comme trop lourd, trop cher, désuet, inintéressant… On m’avait proposé le projet mais il était tombé à l’eau. Les droits allaient être perdus, je me suis dit « ce texte est tellement fort et intéressant, je veux qu’il se fasse ». Et j’ai pensé au metteur en scène, José Paul, que je connaissais et à qui j’ai demandé une expertise amicale et professionnelle. Il a été emballé tout de suite à la lecture. Le fait qu’il dise oui m’a rassuré. Et le charme a opéré comme je l’espérais puisque la pièce est un véritable succès !

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans cette pièce ?

Il faut bien voir qu’il y a douze personnages et c’est très rare de voir au théâtre privé autant de comédiens, avec un décor aussi magistral, dans une mise en scène aussi fluide. Parce que José Paul est non seulement un excellent metteur en scène mais aussi un excellent directeur d’acteurs. C’est un plaisir de travailler avec lui. En plus, il a réuni une troupe de gens qui prennent plaisir à jouer et tous les soirs c’est une vraie fête !

“La Garçonnière”, c’est aussi une histoire d’adultère, de femmes trompées et de secrétaires fantasmées. Avec tout ce qui se passe à Hollywood, le scénario n’aurait pas pu être écrit aujourd’hui, non ?

Je trouve que c’est parfaitement actuel, la résonance humaine reste la même avec le scénario de Billy Wilder. La pièce traite de comment les femmes peuvent être utilisées comme objets de fantasmes bien malgré elles. Les supérieurs de l’entreprise n’hésitent pas à avoir des aventures extras conjugales et à faire miroiter un avancement éventuel pour pouvoir recevoir leurs « poules ». Ça ressemble très fortement à ce qui ce passe en ce moment. Je crois que la pièce va avoir une résonance encore plus importante aujourd’hui car elle sera teintée de tous ces scandales. Ce sera d’autant plus cruel et d’autant plus drôle évidemment. Avec cet humour de Billy Wilder, qui est un peu la politesse du désespoir. Je dis toujours : « l’humour sauvera le monde ». La dernière chose qui reste quand on est désespéré, c’est le rire. Un humour du désespoir comme ça, extrêmement touchant, drôle et plein d’humanité.

Qu’est-ce qui est le plus dur pour vous : jouer des rôles humoristiques ou dramatiques ?

Je trouve que « qui peut le plus peut le moins ». Il y a des acteurs qui ne pourront jamais jouer que des drames. Et d’autres qui ont en eux une note comique et un sens du rythme qui leur permettra de jouer les deux. Une grande comédie a forcément des qualités de tragédie. Ce qui arrive aux personnages de comédies, ce sont très souvent des drames. Et c’est ça qui fait rire le public, à qui on tend un miroir en disant : « voilà ce qui pourrait vous arriver ». Et puis il faut des qualités humaines pour pouvoir charger son personnage de beaucoup de nuances et toucher le public, pour être un grand acteur de comédie. Le plus dur est d’oser mettre son humanité au service du rôle. Donc il ne faut pas tricher, il faut donner quelque chose de soi. Un état de jeu absolu où on finit par ne plus jouer mais juste par être là sur scène.

Une pièce que vous avez aimé récemment ?

J’ai eu la chance de voir “Depardieu chante Barbara” au Cirque d’Hiver. C’est bouleversant d’humanité. On peut penser ce qu’on veut de Depardieu, moi je crois que c’est l’un des plus grands acteurs du monde. Ce qu’il fait dans ce spectacle est unique. Il est en état de don absolu et c’est extraordinaire.

Et si vous deviez résumer Paris en trois mots, quels seraient-ils ?

Lumière d’abord, au sens philosophique aussi. Charme, ensuite. N’habitant pas Paris, j’ai toujours profité de cette ville comme un provincial et je suis toujours autant émerveillé à chaque fois que j’y mets les pieds. Histoire, enfin. Dans chacun des théâtres de Paris d’ailleurs. Quand on entre dans les théâtres, l’odeur du bois, de la poussière, de la coulisse, c’est une odeur indescriptible qui me touche profondément à chaque fois.

© Céline Nieszawer

La Garçonnière au Théâtre de Paris, reprise à partir du 16 janvier.