LES MOTS D’ELECTRE – Sébastien Bizeau et Matthieu Le Goaster

Le langage et son impact sur notre société : un thème superbement amené sur fond de mythe d’Electre. Une magnifique réécriture de l’œuvre de Jean Giraudoux, des comédiens habités par leurs personnages et une mise en scène impeccable : rencontre avec l’auteur et metteur en scène Sébastien Bizeau et Matthieu Le Goaster, qui interprète le rôle d’Oreste.

INTERVIEW CROISÉE

Comment le théâtre est arrivé dans vos vies ?

Matthieu : Passionné depuis toujours par le théâtre, j’ai pris mes premiers cours lorsque j’avais 10 ans et j’ai continué à le faire en parallèle de ma scolarité. Après quoi j’ai fait une école de commerce et travaillé quelques années en entreprise, avant de réaliser que cette passion pour le théâtre restait là, intacte. J’ai donc tout arrêté pour commencer un cours d’art dramatique au Cours Le Foyer, et je me suis enfin lancé !

Sébastien : J’ai l’impression que le théâtre a toujours été présent quelque part, depuis les spectacles créés dans le grenier de mes grands-parents à partir des Fables de La Fontaine, jusqu’aux émotions incroyables ressenties lorsqu’on avait travaillé à l’école primaire sur des scènes de Molière. Et les pièces que j’avais pu voir ne faisaient que renforcer cette envie de participer un jour à cette folle aventure collective qu’est le spectacle vivant.

Quels sont les thèmes abordés dans « Les Mots d’Electre » ?

Sébastien : Comme dans Electre de Jean Giraudoux, dont cette pièce est adaptée, on retrouve ce qui fait le sel des tragédies : l’amour, la mort ou la vengeance. Mais là où les coups d’épée de l’antiquité avaient raison des destins, ce sont ici les mots qui permettent de dire, révéler voire tuer. Le langage est l’arme contemporaine, et cette pièce vient interroger le rôle paradoxal qu’il joue dans notre société dite d’“hyper communication”.

Matthieu : Derrière cette interrogation, on retrouve une multitude de sujets, qui sont autant de domaines dans lesquels le langage peut être porteur de meilleur comme du pire. C’est le cas de la politique et de ses éléments de langage, de la maladie et du rapport à la mort, ou encore du management en entreprise. Et ces situations viennent interpeller le spectateur, car chacun peut s’y reconnaître à un moment donné.

Sébastien, qu’est-ce qui vous a donné envie de monter cette pièce ? Et vous Matthieu de la jouer ?

Sébastien : Mon parcours professionnel aux confins des mondes de la politique et de l’entreprise m’a amené à baigner dans ce qu’on appelle les éléments de langage. Et ces éléments de langage sont désormais partout ; nous les pratiquons en entreprise ou dans nos vies personnelles, tels la prose de monsieur Jourdain ! Or, comme le dit Camus, mal nommer les choses revient à ajouter au malheur du monde. On le voit lorsque le “crime passionnel” supplante par exemple le meurtre conjugal. Faire éclater la vérité, comme Electre veut le faire, suppose aujourd’hui de débusquer les détournements du langage qui dissimulent la réalité et de mettre des mots sur les faits.

Matthieu : Lorsque Sébastien m’a contacté pour ce projet, j’étais très curieux de voir comment sa réflexion sur le rôle du langage pourrait être embrassée dans un spectacle mêlant tragédie classique et écriture contemporaine. Et comme la curiosité est un moteur formidable pour un comédien, l’envie de jouer la pièce était née ! D’autant que Sébastien avait une vision très claire de ce qu’il voulait créer, de la mise en scène aux parcours des personnages. Ce qui était important car Oreste, que j’interprète sur scène, évolue beaucoup tout au long de la pièce.

Comment avez-vous modernisé l’œuvre originale de Jean Giraudoux ?

Sébastien : L’œuvre originale de Jean Giraudoux est très moderne dans sa façon de mêler tragédie antique et détails anachroniques ou prosaïques. Le texte se prêtait donc très bien à cet exercice de relecture spatio-temporelle, où le royaume d’Argos est devenu un restaurant étoilé et Oreste un conseiller ministériel exilé à Paris. Et sont venus s’ajouter une série de personnages contemporains, porteurs de questionnements parallèles comme pouvaient l’être à leur façon le mendiant ou le jardinier dans l’œuvre de Giraudoux.

Pourquoi ce choix d’une scénographie épurée ?

Sébastien : Je voulais avoir le plus de fluidité possible dans la construction du spectacle, avec des enchaînements de tableaux très “cut”, ce que seule une scénographie épurée permet de garantir. Cela permet de voyager d’un claquement de doigts d’un ministère à une chambre d’hôpital en passant par un restaurant ou un plateau de télévision, et il faut profiter de ce privilège incroyable que le théâtre offre !

Que souhaitez-vous provoquer chez vos spectateurs ?

Matthieu : Chaque fois que nous avons joué cette pièce, cela a été un plaisir de sentir et d’entendre les rires liés aux moments comiques se mêler aux émotions intenses que les scènes tragiques apportent. Mais au-delà de cela, je crois que cette pièce peut être l’occasion pour chacun de se questionner sur son rapport au langage, ou à la vérité. Elle suscite en tout cas des discussions passionnées à la sortie du théâtre, ce qui est merveilleux pour une pièce qui parle des mots !

Par Élodie Rabaud

Le 16 mars à 21h au Théâtre de l’Atelier