Le Triomphe de l’Amour de Denis Podalydès

« L’homme ou la femme qui aime est un redoutable prédateur, avide du sang aimé. Les règles sociales, la bienséance parviennent à contenir la bête, mais alors celle-ci se cabre, lutte, se débat. Le Triomphe de l’Amour est un saccage, une hécatombe. » C’est avec ces mots que le metteur en scène Denis Podalydès évoque la pièce de Marivaux dont il a tenté de capter l’essence… sans tomber dans les travers d’un marivaudage galvaudé.

Par Nadine Pernay.

La quête amoureuse chez Marivaux

Alors que Molière vient d’apporter au théâtre français l’art de la comédie, Marivaux, s’inspirant des dramaturges italiens, cherche à se démarquer en explorant une thématique tout aussi universelle qu’hasardeuse, la psychologie amoureuse : « J’ai guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l’amour lorsqu’il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d’une de ces niches », disait-il. En quête d’une profondeur qui le rapprocherait des tragédies de racine, l’écrivain peaufine, dans sa pièce Le Triomphe Amoureux (1732), le style théâtral qui fera sa renommée. Percevant dans la naissance du sentiment amoureux tout autant la fièvre et la maladie, que la douceur et la naïveté, il s’intéresse à l’ensemble des manifestations (physiques, psychologiques, sensorielles…) qui font qu’un amour transforme l’être et l’entraîne vers sa métamorphose.

Dualités et complexité du sentiment

Dans cette pièce en trois actes, léonide, princesse de sparte, est prête à tout pour épouser l’héritier légitime du trône : Agis. Or celui-ci vit à l’abri des dangers de l’amour, sous la coupe du philosophe Hermocrate et de sa sœur Léontine. Pour parvenir à ses fins, Léonide se travestit en homme, devient Phocion, et séduit tantôt en femme tantôt en homme tous les protagonistes. Pour le théâtre des Bouffes du Nord, Denis Podalydès (lire encadré) propose une nouvelle lecture de la pièce. « Marivaux regarde de tout près comment agit le désir amoureux. D’où ça part, ça monte, comment ça vient aux lèvres, comprimé, réprimé,comment ça se trahit d’une manière ou d’une autre,comment ça éclate. C’est l’aveu impossible et qui jaillit pourtant. Un tout petit mot, un petit rien, et ce petit rien fait vaciller le monde », confie le metteur en scène dans sa note d’intention.

La philosophie dans la séduction

Selon lui, l’aspect philosophique de la pièce, marque fameuse du siècle des lumières, est la toile de fond du récit. « J’aime la figure du philosophe à l’écart. Hermocrate a constitué une petite société organisée selon ses principes. On y jardine, on y fait de la musique, on y lit, on y boit et mange, mais on n’y aime point. L’utopie d’Hermocrate tient à ce renoncement. L’harmonie règne au prix d’une mutilation. » Sous la direction musicale de Christophe Coin (violoncelliste et gambiste), et grâce à la scénographie d’Eric Ruf (de la Comédie-Française) et aux costumes signés Christian lacroix, Le Triomphe de l’Amour de Podalydès bascule entre l’insolence et l’innocence, entre la figure du Don Juan et celle d’une sainte pureté. Les questions centrales de la séduction et de l’identité des sexes restent emprunts de la drôlerie et de la poésie fidèles aux mots de l’auteur.

Théâtre des Bouffes du Nord, du 15 au 13 juillet.

© Comédie Française