ALAIN SACHS – Une passion communicative

ALAIN SACHS

Alain Sachs est un homme de théâtre qui a signé une cinquantaine de mises en scène et qui aime par-dessus tout le mélange des genres. Comédies d’aujourd’hui, textes classiques, vaudevilles, spectacles musicaux, il a déjà obtenu plus de vingt nominations à des prix et plusieurs Molières. Il est également un homme de télévision et de radio et participe souvent à diverses émissions sur les chaînes France Inter et Europe 1, entre autres. Alain Sachs est aussi très demandé en tant qu’acteur, travaillant aussi bien sur scène que devant la caméra. Rencontre avec un artiste éclectique, complet et comblé.

Qui vous a donné le goût du théâtre ?

C’est ma grand-mère qui lorsque j’avais dix ans m’a amené voir Le Malade Imaginaire, un souvenir impérissable qui encore aujourd’hui reste intact dans ma mémoire. Elle nourrissait le rêve d’être comédienne et  j’espère l’avoir en quelque sorte exaucé. Quand j’étais plus jeune j’allais également voir les marionnettes du Jardin du Luxembourg qui d’ailleurs existent toujours aujourd’hui. Ma fascination pour le monde du spectacle est donc née très tôt !

Quand avez-vous monté votre première pièce?

Ma passion dévorante pour le spectacle m’a naturellement poussé dès mon adolescence à monter mes premières pièces. Ceci durant mes années de scoutisme notamment et mes années lycée où j’étais un membre fervent du club théâtre. Dès l’âge de 12 ans, je m’improvisais metteur en scène si j’ose dire, et cette passion ne m’a jamais quittée depuis. Nous avions d’ailleurs monté avec un ami Les Fourberies de Scapin et plus de cinquante ans après, ce complice de toujours se trouvait il y a quelques jours dans le public de la Comédie Bastille !

Diriez-vous que l’accès à ce rêve était plus facile à votre époque qu’il ne l’est aujourd’hui ?

D’une part je dirais que oui de par le fait que nous étions nettement moins de prétendants à espérer s’accomplir dans le domaine artistique. Mais en revanche il fallait être patient, le parcours se faisait très progressivement, marche après marche, avec pour moteur sa seule volonté, sa passion. J’ai commencé par des One Man Show dans des cafés théâtres, des petits cabarets, et cela prenait de l’ampleur au fur et à mesure. Aujourd’hui il y a énormément d’écoles, de cours, de concours qui font miroiter un succès immédiat et accroissent de ce fait le nombre de prétendants. Et certains brûlent mêmes des étapes grâce à internet. Je pense notamment aux chanteurs et humoristes qui utilisent cet outil comme un véritable tremplin vers la gloire ! C’est eux que l’on vient chercher et non plus l’inverse ! Il suffit d’avoir du talent et l’on peut se faire repérer très rapidement. Mais ceci est à double tranchant car cette nouvelle vague d’artiste peut se retrouver très vite relayée par les nouveaux arrivants. Les humoristes particulièrement doivent toujours être dans l’air du temps, apporter quelque chose de nouveau à chaque fois. Je pense que pour durer dans ce domaine  il faut avoir un talent singulier et savoir se renouveler sans cesse. Un artiste comme Jamel Debbouze par exemple a su d’emblée se démarquer et il est toujours là aujourd’hui à la fois acteur, producteur, il a été un véritable passeur qui a donné leur chance à énormément d’artistes. C’est un travail magnifique de faire profiter de sa notoriété pour faire briller la nouvelle génération.

Pouvez-vous nous parler de Kean, la pièce que vous qualifiez de « petit conte de fée » ?

Au départ je devais monter Cyrano de Bergerac mais ceci a coïncidé avec la sortie du spectacle Edmond d’Alexis Michalik qui se joue d’ailleurs à guichet fermé depuis des années. J’ai alors entrepris mes recherches sur d’autres pièces et je suis tombé sur Kean, que je ne connaissais pas. Cette pièce est la première qu’ait jouée Jean-Paul Belmondo après 27 ans de cinéma et elle m’est apparue comme une œuvre extraordinaire. Ayant essuyé plusieurs refus de la part des théâtres parisiens qui n’osaient pas reprendre Kean derrière Belmondo, je l’ai finalement jouée dans un petit théâtre, le Théâtre 14, encouragé par le directeur de l’époque Emmanuel Dechartre. Je l’ai entièrement produite seul et le public a immédiatement répondu présent. Nous sommes rapidement passés des 180 places du Théâtre 14 au 300 du Théâtre de lOeuvre ! Sont venus s’ajouter à ce succès 5 nominations aux Molières et plus récemment le prix du Brigadier. Après des moments de doutes et de difficultés, recevoir ce prix a été un grand honneur. Ce spectacle au départ crée un peu par accident et avec des comédiens talentueux mais finalement peu « connus » se joue depuis 3 ans maintenant avec près de 200 représentations.

Et vos deux pièces, qui vont être prolongées en 2022 ?

Il s’agit également de contes de fée! Ayant mis en scène pendant 25 ans le groupe masculin Le Quatuor, je pensais avoir en quelque sorte fait le tour de la question. Puis par l’intermédiaire d’un ami j’ai découvert les Swing Cockt’Elles, ces trois femmes aux voix divines accompagnées par un pianiste et j’ai eu un terrible coup de cœur. Tout le répertoire vocal féminin colossal, innombrable, s’est alors ouvert à moi ! Un terrain de jeu passionnant qui décrit toute l’évolution de la condition féminine au fil du temps à travers le jazz et le swing. Cet irrésistible ascension s’est également faite grâce au concours du directeur de la Comédie Bastille Christophe Ségura qui a toujours cru au projet et nous offre des conditions privilégiées. Quand on crée un spectacle il y a d’une part le plaisir que l’on y prend personnellement, notre espérance, puis on rencontre le public. Il faut alors à ce moment-là être en osmose avec ce qu’il attend. Et aujourd’hui les gens ont besoin de lumière, de divertissement et de réconfort, et nous espérons le leur apporter avec le spectacle Et Dieu Créa Le Swing.

Je mets également en scène un autre artiste immensément talentueux chez qui j’ai immédiatement repéré un grand potentiel : Bill François. Ce jeune homme de 28 ans était à la base un scientifique ayant fait une thèse sur le mouvement des bancs de poissons. Il était par ailleurs un grand gagnant de tous les concours d’éloquence qui se faisaient en France. Je l’ai alors découvert lors de la première édition du Grand Oral sur France 2 en 2019 qu’il a remporté. Subjugué, je l’ai contacté sur Facebook et il m’a répondu 6 mois plus tard, mon message s’étant quelque peu noyé entre les 2000 autres qu’il reçut ce soir-là ! Il a depuis écrit « Eloquence de la sardine », traduit en 17 langues en un an et le spectacle que nous avons créé ensemble  C’était mieux après  se joue actuellement à la Comédie Bastille et ce jusque fin avril. C’est un spectacle de philosophie, d’humour et de poésie vu à travers le regard d’un scientifique : c’est savoureux et d’une intelligence folle!

Metteur en scène, dramaturge, comédien, marionnettiste, chroniqueur radio et télé, auteur, créateur d’attractions… Quelle corde manquerait-il à votre arc ?

A une époque j’aurais été taxé de dilettante, de quelqu’un qui n’arrive pas à se fixer (rires). Aujourd’hui on dirait plus un passionné comblé ! J’aurais aimé réaliser pour le cinéma. Aussi, si j’avais un regret au théâtre, ce serait celui de ne pas avoir pu monter tous les auteurs que je souhaitais dans le théâtre privé. 

Des artistes qui ont bouleversé votre vie ?

Le premier nom qui me vient est celui de Pina Bausch. La danse est vraiment l’art qui réunit tous les arts et elle créait de l’universel, du renversant, du bouleversant. Dans la musique je dirais Mozart. J’ai eu la chance de monter Les Noces de Figaro accompagné par ses airs extraordinaires. Mozart c’est tellement la vie, le génie à l’état pur. Sa musique vous transcende et vous bouleverse. Au théâtre ce sont Molière et Shakespeare. Ce dernier m’a ouvert la voie dans l’idée que tout peut se rassembler dans un seul et même spectacle. Le mélange des registres à travers une même œuvre m’inspire au quotidien. J’ajouterais aussi Stromae qui fait partie de ces gens capables de tout réinventer. Au cinéma j’adorais les films de Duvivier qui n’avaient aucune frontière, chaque film est un nouvel univers, tout comme chez Tavernier avec qui j’ai eu la chance d’être ami.

Que diriez-vous à ce jeune homme de 15 ans qui recopiait des poèmes en rêvant au monde du spectacle ?

Je lui dirais qu’il a rêvé très fort et qu’il a eu la chance inouïe d’accomplir ses rêves… Ce n’est pas donné à tout le monde, c’est un privilège énorme. Force est de constater que ma passion est toujours intacte, je continue aujourd’hui de rêver à l’égal du jeune homme de 15 ans que j’étais, toujours dans le partage et l’équité.

Par Élodie Rabaud