Ce qui reste d’un amour
Alice et Hugo sont tous les deux artistes, pourquoi ce choix ?
Carlotta Clerici : Je pars toujours d’une base autobiographique, et je réfléchissais sur les relations amoureuses, sur ce qui se passe après une rupture. J’ai alors eu la vision de cette femme qui va sonner chez cet homme avec qui elle a vécu une grande passion, et j’ai décidé de suivre ces deux personnages, de les laisser me parler.
C’est votre 10ᵉ collaboration ensemble, Thomas et Caroline : peut-on parler d’une complicité artistique ?
Caroline Devisme : En effet, la première fois où on a travaillé ensemble, en 2010, ça a été évident tout de suite. On s’entendait très bien, on se comprenait très vite, c’était fluide, comme avec Carlotta.
Thomas Le Douarec : Caroline joue, danse, chante… elle excelle dans tous les domaines et a cette capacité de s’adapter très vite, de beaucoup travailler. Pour moi qui aime essayer plein de choses quand je monte un spectacle, c’est un vrai bonheur. J’espère qu’on va encore travailler comme ça pendant 10 ans !
CC : On travaille dans une confiance totale et une grande complicité. Et je suis persuadée que plus on est en confiance, plus on est libre et plus on a de créativité. On a créé le spectacle ensemble, en travaillant dans la même direction : la recherche de vérité et de justesse.
Vous dites, Carlotta : « L’amour – le vrai – ne meurt pas. Ce sont les relations qui prennent fin. » Comment cette phrase résonne-t-elle dans l’écriture de la pièce ?
CC : C’est vraiment, pour moi, la phrase qui résume la pièce, et j’en suis persuadée : tout ce qu’on a vécu de fort et d’important dans notre vie fait partie de nous et reste en nous. Une grande histoire d’amour ne meurt pas, elle se transforme.
TLD : On dit souvent de l’amour que c’est une question de timing. Les grandes histoires d’amour se font parce qu’elles arrivent à ce moment-là. En cela, je trouve qu’il y a une grande similitude entre l’amour, la passion et le théâtre : il y a cette part d’éphémère, d’« ici et maintenant ».
CD : C’est pour ça que j’ai toujours l’impression d’un saut dans le vide avant de jouer cette pièce !
Pensez-vous qu’une telle passion peut se fondre dans le moule d’une vie de couple ?
TLD : Je pense que la frontière entre amour et passion est extrêmement floue, qu’on peut passer de l’un à l’autre, dans un sens comme dans l’autre. C’est très fragile, la définition des sentiments amoureux. Quand on joue cette pièce, j’ai toujours l’impression d’écrire sur le sable, avec cette possibilité que la mer recouvre tout à chaque instant. Le risque est toujours là.
L’une des forces de la pièce réside dans la simplicité, la sincérité du jeu. Est-ce un choix de mise en scène, ou quelque chose qui s’est imposé naturellement ?
CC : C’est ce que j’aime et que j’ai toujours cherché au théâtre : la vérité. Je pense que c’est l’une des choses les plus difficiles à faire. Il faut être excellent comédien pour donner l’impression qu’on ne joue pas ; ça demande du lâcher-prise pour vivre les émotions qui viennent, de la confiance en soi, en l’autre. Et je savais qu’avec eux, c’était possible. Ils excellent dans ce registre.
CD : On a tellement travaillé, avec Carlotta, sur tous les détails de son texte, de sa vision, sur l’incarnation, que c’est devenu instinctif. C’est un grand bonheur à jouer.
TLD : C’est terriblement difficile d’oublier le public et de ne pas se regarder soi, d’être uniquement ensemble et de vivre la situation pleinement. Il y a des moments où on le perd, puis on le retrouve. Mais les choses doivent nous échapper si on veut vraiment toucher cette sincérité. Carlotta nous laisse déborder à l’intérieur du cadre.
CC : Oui, il y a le cadre, et à l’intérieur, il y a la vie.
Quels retours vous font les spectateurs ?
CC : Les femmes me disent souvent : « Vous avez écrit mon histoire ! J’ai vécu exactement la même chose ! » Beaucoup de gens autour de la quarantaine, cinquantaine s’y reconnaissent, et les plus âgés se rappellent ! Tout le monde n’a pas forcément vécu une histoire passionnelle comme celle-là, mais je crois que tout le monde peut se raccrocher à un endroit de cette histoire.
CD : Un couple m’a dit un jour : « Mais elle avait entendu parler de nous avant d’écrire ?! » tant ça ressemblait à leur histoire ! Ils étaient très touchés, c’était émouvant. Ce qui est beau aussi, c’est que les gens ne prennent pas forcément parti pour l’un ou pour l’autre, car il n’y a pas de jugement dans le texte de Carlotta, pas de manipulation entre Hugo et Alice : ils sont tous les deux sincères.
TLD : Je me souviens d’un spectateur qui s’était identifié à moi. C’était troublant car il me parlait comme si on avait vécu la même chose et que ça nous rapprochait ! Carlotta est une grande autrice de théâtre et j’ai hâte que les gens viennent découvrir cette pièce.
STUDIO HÉBERTOT
À partir du 23 octobre
Par Mélina Hoffmann