DU CHARBON DANS LES VEINES

L’auteur, metteur en scène et comédien Jean-Philippe Daguerre revient avec une nouvelle pièce poétique et émouvante

Jean-Philippe Daguerre est profondément intéressé par la poésie, l’humour et la beauté des vies empruntes de tragédie. Le créateur d’« Adieu Monsieur Haffmann », pièce aux 4 Molières sur le quotidien d’une bijouterie pendant l’Occupation, revient cette fois-ci avec une œuvre profondément touchante sur la condition des mineurs du Nord de la France.

Pouvez-vous nous présenter plus en détails les 2 personnages principaux du Charbon dans les veines ? Quel sera le défi auquel ils feront face dans cette pièce ?

Au début de la Vème République, nous découvrons la vie d’une société de mineurs, constituée de sept personnages. Au centre de cet ensemble se trouve un binôme de meilleurs amis, Pierre et Vlad, quasiment élevés ensemble. Ils travaillent ardemment à la mine et, sur leur temps libre, jouent de l’accordéon dans un orchestre. On suit alors l’histoire de ces « gueules noires » aux origines diverses (Vlad est issu de l’immigration polonaise), mais unis par leur condition de vie et de travail. Leur quotidien est bouleversé lorsque Leila, une jeune marocaine, intègre l’orchestre. Dans la réalité des conditions de vie difficile, des mineurs sont questionnés les a-priori, les peurs, les interrogations de chacun des personnages. Ils cherchent des solutions qui leur permettront de continuer à faire corps face à cette réalité commune.

En quoi le personnage de Sosthène est central ?

Sosthène est un personnage drôle. Le sujet est difficile en lui-même et on le comprend très vite. Je voulais donc ramener de la joie à travers lui, alors qu’il vit un drame personnel. Il est en effet atteint de la silicose, la maladie du mineur, et se sait condamné. C’est cette finalité imminente qui lui fait prendre le pas de vivre pleinement. Il parle en vérité, et fait même preuve d’une certaine philosophie, empreint de la poésie des gens simples. Il dirige
également l’orchestre et est donc au centre de cette société qu’il influence d’une certaine manière, qu’il insuffle de cet élan vital, malgré sa condition. Jean-Jacques Vanier l’interprète dans toute sa luminosité. J’ai écrit ce rôle pour lui, car il a la poésie et la qualité humoristique pour faire exister Sosthène.

Votre pièce met en avant tout ce que la vie de mineur a de quotidien comme de grandiose. Comment ces contrastes vous ont-ils inspirés ?

J’ai voulu remonter à une époque où le charbon, donc le travail des mineurs, était le nerf de la France. Les mineurs étaient grandement respectés par les Français. Je voulais montrer qu’il y a quelque chose de l’ordre de l’essentiel dans ce métier, qui est pour moi le plus dur qui soit. Je voulais aussi évoquer les aspects de cette société qui était fondée sur la solidarité et le vivre ensemble et où les notions de loyauté et de considération sont au cœur des relations interpersonnelles. Dans cette pièce, les personnages ne sont pas que dans le fond de la mine : ils aiment la musique, le football, ils élèvent des pigeons voyageurs. Je voulais donc raconter une histoire qui nous permette de réfléchir à notre réalité actuelle, en nous plongeant pendant la durée du spectacle dans celle d’antan, comme un miroir révélateur.

Quelle est la part d’humanité que vous avez souhaité explorer à travers cette pièce ?

A ma place d’artiste, d’auteur, de comédien, j’essaie de trouver des endroits où l’on peut mettre en lumière l’idée de la compassion, de l’indulgence. J’étudie mes propres peurs et tente de les exorciser à travers le théâtre. Je voudrais faire le pari d’une société qui soit juste et tournée vers un vivre ensemble. Et je trouve que l’exemple de la mine est parlant : face à elle et ses risques, tout le monde est mis sur un même pied d’égalité. C’est en regardant une archive de l’INA présentant un jeune mineur qui élève des pigeons voyageurs qu’a germée la trame de cette pièce. La portée de cette image me
semblait forte et symbolique : comment ce jeune homme, enfermé sous terre la plupart de son temps, s’occupe d’oiseaux lorsqu’il ne travaille pas. J’y vois une poésie qui me parle et dit des choses qui sont pour moi fondamentales. Ce voyage dans le temps permet une sorte de rêverie poétique qui nous enjoint à réfléchir sur notre réalité contemporaine.

Vous vous êtes nourris d’histoire d’amis et entourés de collaborateurs de longue date sur cette pièce : quels atouts cela représente pour vous, en tant qu’auteur et metteur en scène ?

J’ai été inspiré par mes échanges avec Raphaëlle Cambray, qui joue dans ce spectacle, et qui est fille de mineur elle-même. Je rends aussi hommage à feu mon ami Frédéric Habera, avec qui j’ai longuement collaboré, qui était le fils d’un mineur polonais, chef d’un orchestre constitué d’accordéons uniquement ; le personnage de Sosthène en est inspiré. Frédéric m’a transmis de nombreux magazines de l’époque, me permettant de m’imprégner de cet univers. Il m’a aussi longuement parlé de l’entraide très présente dans la société des mineurs et de son enfance heureuse, parce que nourrie de la chaleur humaine omniprésente malgré tout.

À qui s’adresse votre pièce ?

J’essaie toujours de faire des pièces populaires, alors celle-ci s’adresse de nouveau à tous. J’aime créer des pièces qui fassent se questionner, mais surtout qui divertissent et qui rassemblent. C’est une pièce humaine, une tranche de vie d’une période donnée, qui peut résonner chez chacun. J’espère toujours que les spectateurs qui voient mes pièces aient un peu plus envie d’être dans la rencontre de l’autre lorsqu’ils sortent du théâtre.

A partir du 16 janvier, au Théâtre Saint-Georges

Par Caroline Guillaume