Julie Gayet, « retrouver le théâtre a été un grand saut dans le vide »
Ces dernières années, on a surtout vu Julie Gayet au cinéma ou à la télévision. La voici de retour au théâtre, avec un texte brut et fort sur le deuil et la résilience. Après une première série de représentations au théâtre des Célestins, à Lyon, Rabbit Hole est présentée pour la première fois à Paris.
Vous n’aviez pas joué au théâtre depuis 20 ans. Quelles ont été vos sensations en retrouvant les planches ?
Je remercie Claudia Stavisky, la metteuse en scène, d’avoir été aussi têtue et entêtée, car elle m’a donné l’occasion de faire ce grand saut dans le vide. J’ai eu un trac fou, mais j’ai eu la chance d’être très bien entourée. Sans mes partenaires, je n’aurais jamais réussi. Il fallait être bien accompagnée pour parvenir à tout exprimer. Nous formons une petite famille. Le théâtre, c’est un peu comme le mariage, on se retrouve tous les soirs et on s’engage sur le long terme. C’est tout un monde qui s’ouvre à nouveau à moi, et cette fois-ci, je ne suis pas prête de le lâcher.
Pouvez-vous nous parler de Rabbit Hole ?
Il s’agit d’une pièce d’un auteur américain contemporain, David Lindsay-Abaire, qui a obtenu le prix Pulitzer en 2007. C’est la première fois qu’elle est traduite en français. L’écriture est brute, elle joue avec les standards américains, comme le cinéma ou la télé-réalité. La pièce raconte comment une famille va se souder en affrontant la perte d’un enfant. Le texte est très radical dans sa manière de traiter le deuil. L’auteur parvient à garder le fil de l’émotion, tout en nous faisant rire. Ce n’est jamais pesant ou oppressant. Il y a à la fois une grande force et une grande sensibilité.
Ce « terrier de lapin », à quoi fait-il référence ?
Il peut faire penser au terrier du lapin dans Alice aux Pays des Merveilles, dans le sens où la pièce oscille entre le rêve ou la fiction, et la réalité. C’est un passage initiatique, une forme de catharsis pour arriver à la résilience. Il faut en quelque sorte passer le trou noir pour en ressortir, passer de l’autre côté du miroir pour retrouver la lumière et l’espoir.
Pensez-vous que la famille soit un moyen puissant d’arriver à la résilience ?
La famille, même dysfonctionnelle, est importante. On ne choisit pas sa famille, mais elle reste essentielle. Pour se reconstruire, il faut retrouver l’origine, l’endroit d’où l’on vient. Comme s’il fallait retrouver ses racines pour pourvoir transcender les maux, avoir la possibilité de se retrouver pour devenir quelqu’un de meilleur, pour pouvoir passer les épreuves. C’est également de cette manière que j’entrevois mon retour au théâtre : retrouver l’essence pour renaître.
Y a-t-il une scène qui vous bouleverse particulièrement ?
Le lien mère-file est très fort dans la pièce. Je me suis toujours intéressée à cette relation si ambivalente. J’ai par exemple beaucoup lu sur les travaux de la psychanalyste Mélanie Klein, sur cette relation mère-fille perçue comme une relation à trois. dans la pièce, Becky et sa mère sont à la fois dans l’incompréhension et les retrouvailles. La mère va permettre un passage de relais. Malgré le manque de communication, la transmission est bel et bien présente.
La pièce avait été adaptée au cinéma, avec Nicole Kidman (2010). Avez-vous vu le film ? Et est-ce que vous auriez accepté le rôle au cinéma ?
Je n’ai pas vu le film, et je n’ai pas envie de le voir pour le moment. Et je dois avouer que je pense que j’aurais refusé ce rôle. Le texte de la pièce est merveilleux, car il ne montre pas tout, ne dit pas tout. Cela le rend universel et plus fort encore. Je pense que le cinéma ne pourrait que s’éloigner de ce texte, car il voudrait montrer davantage. Mais voulons-nous tout savoir, tout voir ?
Vous avez déjà joué la pièce à Lyon. Quelles réactions du public retenez-vous ?
La magie du théâtre fait que chaque public est différent, chaque jour. Et, de fait, nous ne sommes jamais complètement les mêmes non plus. C’est dans cet échange que l’on éprouve le plaisir de jouer. Je me souviens d’avoir entendu le public pleurer. C’est une émotion rare et bouleversante.
Par Nadine Pernay