LE MONDE SELON ALBERT EINSTEIN

Interview de Sylvia Roux

Sylvia Roux endosse le rôle du génie alors qu’il n’était encore qu’un enfant stigmatisé pour sa singularité. Au-delà de nous conter l’enfance du futur prodige, son spectacle pointe l’injustice des jugements trop normatifs et le manque de place que la société laisse à ceux qui sont parfois, à plus d’un titre, des êtres d’exception.

Votre carrière artistique est polymorphe. Parlez-nous un peu de votre parcours.

C’est vrai que j’ai endossé bien des rôles et pas seulement sur scène : comédienne, metteuse-en-scène, directrice de théâtre, adaptatrice, productrice… J’ai plusieurs casquettes et je le dois d’abord à une formation éclectique, à l’école Périmony, puis avec Anne Delbée ou le CLCF pour ne citer qu’eux… J’ai touché à tout, du boulevard à la création contemporaine, des grands textes aux spectacles de troupe… Pour moi, l’important est de se découvrir soi-même, de travailler au vivre ensemble, avec un souci constant d’inclusivité, de parité, d’ouverture. Mon but est de créer des occasions pour le public de tirer d’un exemple individuel des clefs pour comprendre le monde qui nous entoure et se connaître soi-même. J’ai une prédilection pour les personnages hors du commun, différents qui ont un parcours singulier.

Le monde selon Albert Einstein mis en scène par Josiane Pinson est adapté du roman de l’écrivaine et journaliste Brigitte Kernel, avec laquelle vous formez la compagnie Juste là. Ce projet est-il d’abord un coup de cœur littéraire ou humain ?

Les deux ! Avec Brigitte Kernel, on peut parler d’une fusion artistique. D’ailleurs, nous avons l’honneur d’être toutes les deux décorées Chevalier des Arts et Lettres cette année, elle en tant que journaliste littéraire et écrivaine, et moi en tant que comédienne et directrice de théâtre. Le projet autour d’Albert a commencé pendant le confinement au cours duquel nous avons listé les thèmes qu’on avait envie de voir abordés au théâtre, avec pour points de mire l’espoir et l’Humain. Brigitte a eu une commande de Flammarion pour la collection L’enfance des génies dont les premiers tomes sont Albert Einstein, Charlie Chaplin et Joséphine Baker. L’idée de l’adaptation au théâtre a suivi très naturellement.

Vous interprétez Einstein à 10 ans, comment vous êtes-vous glissée dans la peau de ce petit garçon ?

D’abord, je me sens proche de lui. Sans être du tout scientifique, je partage sa curiosité, sa soif d’apprendre et de comprendre, sa réticence envers les règles, son hyperactivité. Et puis, petite, je me suis toujours sentie plus cowboy ou indien que princesse. Dans la pièce, j’incarne dix autres personnages de l’entourage du petit Albert. Albert Einstein a grandi à la fin du XIXe siècle, pourtant le récit de son enfance
aborde des sujets d’actualité. Aujourd’hui, le diagnostic du petit Einstein serait la dysphasie. C’est donc un enfant différent qui a eu des difficultés à communiquer et à entrer dans le cadre imposé. La pièce est un plaidoyer pour le droit à la différence et un encouragement à nous montrer empathiques. Même envers le personnage de la mère d’Albert qui parfois a du mal à suivre son fils, il n’y a pas de jugement. On peut comprendre son manque de patience.

Le personnage principal de la pièce est un enfant, vous adressez-vous principalement au jeune public ?

Non, c’est absolument un spectacle pour tous les âges ! Les adultes comme les enfants y trouvent leur compte. Toutes les générations se montrent réceptives. Il y a notamment cette scène où le grand-père offre à Einstein une boussole dans un grand moment de complicité, la salle entière est captivée.

Quels sont vos autres projets pour 2024 ?

Le 29 juin, c’est le baptême du feu. J’ouvre officiellement le Théâtre des 3S à Avignon. Anciennement Théâtre des 3 soleils, j’en reprends la gérance avec Brigitte Kernel et Bénédicte Ouvry. Le monde selon Albert Einstein y sera joué ainsi qu’une nouvelle création. Cette seconde pièce, Alice Milliat et Violette Morris au micro de Brigitte Kernel, entend rendre justice à ces deux championnes du siècle dernier, sportives qui n’ont pas été reconnues à la hauteur de leurs performances d’exception. Je monterai sur scène avec Brigitte pour laquelle ce sera une première. La journaliste qu’elle interprètera fera un retour en 1931 pour donner la parole à ces femmes que l’Histoire a fait taire.

Dès le 20 avril, à la Comédie Bastille

Par Emilie Hangue-Moquiot