L’HÔTEL DU LIBRE-ECHANGE
Feydeau à travers les yeux de Stanislas Nordey
On ne se lasse jamais d’un Feydeau : ni le public, ni les équipes créatives. Les remarques sonnent toujours justes, les situations toujours aussi absurdes et les rires se font toujours entendre avec la même intensité. Le metteur en scène Stanislas Nordey rencontre le dramaturge pour la deuxième fois. Avec cette mise en scène unique, il apporte une nouvelle pierre à ce monument et il nous tarde de voir le résultat !
Feydeau, encore ?
Quel amoureux du théâtre n’a jamais vu un Feydeau ? Depuis la fin du XIXe siècle, il domine la liste des dramaturges comiques francophones ; ses pièces sont sans cesse jouées, étudiées, revisitées. À raison ! Le comique est un des genres théâtraux les plus difficiles à écrire, à jouer, et les pièces de Georges Feydeau sont un modèle en la matière, tant dans la précision des répliques que dans le dynamisme nécessaire pour jouer ces personnages subtilement caricaturaux et diablement extravagants. L’Hôtel du Libre-Échange, co-écrit avec Maurice Desvallières, est un exemple emblématique de la comédie de boulevard, de la comédie de mœurs bourgeoises, qui reflétait si bien les vices du Paris aisé de la Belle-Époque.
Ça oui, ça non
De fait, qui dit Feydeau dit, le plus souvent, décors fidèles (relativement) à l’opulence esthétique de l’époque d’écriture, et acteurs aussi nombreux que les personnages, qui parfois n’apparaissent que pour deux lignes. Aujourd’hui, monter un Feydeau est un challenge bien plus important qu’il y a cent ans. Les budgets attribués à la culture, notamment au théâtre, s’amenuisent à vue d’œil et les classiques, justement vus et revus, doivent s’efforcer d’attirer un public qui ne soit pas uniquement composé de scolaires. C’est donc un défi que de s’atteler à ces productions coûteuses et de leur insuffler une nouvelle créativité… Un défi qu’a décidé de relever le metteur en scène Stanislas Nordey, avec L’Hôtel du Libre-Échange. Habitué de registres plus sérieux, Nordey s’était déjà frotté à l’humour acéré de Feydeau lorsqu’il avait mis en scène La Puce à l’oreille en 2003. Le metteur en scène l’admet lui-même, il est un amoureux du rythme effréné de cette pièce, qu’il considère comme un des sommets artistiques de l’auteur : « C’est une écriture du mouvement, c’est une écriture du vertige ». Son but n’est pas de faire ressortir le tragique derrière les mots du dramaturge, ni de nier l’aspect fondamentalement joyeux d’une œuvre comme celle-ci. Nordey a d’ailleurs fait le tri parmi les éléments caractéristiques de la représentation de l’Hôtel : si pas la moindre courbe esthétique de la Belle-Époque n’aura sa place sur scène, remplacées par des cirés jaunes, pantalons pattes d’eph, boites en bois et murs à texte surdimensionné, c’est bien une large troupe de 14 acteurs survoltés qui animera la scène.
Une équipe infaillible
Cette machine infernale est au service d’un quiproquo complexe. Le couple Pinglet et le couple Paillardin sont voisins et amis. Enfin, surtout voisins. De fait, M. Pinglet est marié à une harpie, tandis que M. Paillardin l’est à une hystérique. M. Pinglet est amoureux de Mme. Paillardin, et lui propose de devenir son amant suite à une énième dispute entre cette-dernière et son mari. La situation se complexifie lorsqu’un ami du couple Pinglet, venu de Valenciennes avec ses quatre filles, s’invite chez eux pour un mois. En manque de place, les Pinglet l’enjoignent à trouver un hôtel ; M. Pinglet lui indique par mégarde l’Hôtel du Libre-Échange, où il s’apprête à retrouver sa probable future amante, Mme Paillardin. C’est au sein de cet hôtel, peuplé d’employés paresseux et incompétents, de clients dévergondés et de policiers peu rigoureux que se joue toute l’intrigue de cette comédie sur ressorts. Toujours complexe de résumer un Feydeau, jamais difficile de le voir se dérouler. Afin de faire honneur à la pièce, Stanislas Nordey s’est entouré d’une équipe créative avec laquelle il a déjà travaillé et en laquelle il a parfaitement confiance : Emmanuel Clolus à la scénographie, Raoul Fernandez aux costumes et Loïc Touzé à la chorégraphie. Sur scène : Hélène Alexandridis, Alexandra Blajovici, Cyril Bothorel, Marie Cariès, Claude Duparfait, Olivier Dupuy, Raoul Fernandez, Paul Fougère, Damien Gabriac, Anaïs Muller, Ysanis Padonou, Sarah Plume, Tatia Tsuladze et Laurent Ziserman. Après une première vague de représentations à la Maison de la Culture (M2C) de Grenoble en mars, la création arrive à Paris sur la scène du Théâtre de l’Odéon.
Jusqu’au 13 juin, au Théâtre de l’Odéon
Par Léa Briant