Philippe Chuyen, « Les Pieds Tanqués »

Et si vous faisiez perdurer la douceur de l’été, le temps d’ une insolite partie de pétanque au Théâtre Douze ?
Dans « Les Pieds Tanqués »,vous verrez s’affronter quatre bonhommes drôles et attachants sur un terrain de boules, aux parcours de vie très différents mais tous liés de près ou de loin à la guerre d’Algérie. L’occasion de questionner « ce passé qui ne passe pas » : les appartenances aux territoires, les identités, le traumatisme de l’exil et la violence des hommes. Loin des polémiques et des discours culpabilisateurs, la pièce est un moment à la fois jubilatoire, poignant, intelligent mais jamais dénué d’humour !
Pouvez-vous nous raconter comment vous est venue l’idée de la pièce ? Êtes-vous vous-même un joueur de pétanque avéré ?
Cette idée d’écrire une pièce dont la situation est une partie de pétanque me suit depuis longtemps. pour moi le jeu de boules est un théâtre, avec ses personnages, sa gestuelle, ses codes langagiers, sa comédie, etc. lors d’une partie, les joueurs se savent observés et donc se mettent en scène, presque malgré eux. donc ce jeu social de la partie de boules m’a toujours intéressé ; effectivement pour y avoir souvent joué, enfant puis adolescent et puis comme spectateur aussi dans les concours. seulement, je m’étais toujours dit que l’intérêt de recréer une telle situation au théâtre ne pouvait se faire qu’avec un propos tragique…
Vous êtes né deux ans après la fin de la guerre d’Algérie, quel rapport, quels souvenirs entretenez-vous avec ce conflit ?
Aucun souvenir ni personnel ni familial. en revanche l’image du pied noir en Provence est très présente. Beaucoup moins maintenant, mais lorsque j’étais petit ça a toujours été pour moi un être étrange, un objet de curiosité, avec un drôle d’accent, je ne savais pas trop d’où il venait, mais en tout cas ils faisaient partie de mon univers. et puis cette haine de l’arabe pour certains de nos compatriotes, d’où venait-elle ? Je ne l’ai jamais comprise…
Le 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2012 m’a donné l’occasion de m’intéresser à cette période et de mieux comprendre le passé ; et par la même occasion de me donner le sujet tragique que je cherchais pour ma partie de boules.
Vous abordez souvent les questions politiques, historiques ou territoriales, dans votre théâtre, pourquoi ?
Le théâtre est politique par nature je pense, en occident il a été inventé pour cela, au sens que l’entendaient les Grecs. Le théâtre est un vecteur du fameux « vivre ensemble », c’est-à-dire prendre conscience que nous faisons un peuple, et les questionnements liés aux territoires, aux identités, aux mémoires divergentes sont autant de difficultés, qui peuvent être abordées par le théâtre.
Considérez-vous Les Pieds Tanqués comme une œuvre militante ?
Militante au sens de l’éducation populaire oui, car elle éclaire le passé pour mieux comprendre le présent, mais pas sur le fond. La pièce part du principe que dans tout conflit il n’y a pas de vainqueur. Il n’y a que des perdants et la souffrance est équitablement partagée que l’on soit les bourreaux ou les persécutés ; et les mémoires qui en résultent se transmettent et mutent selon la compréhension que l’on en a.
Traiter d’un conflit armé et de ses traumatismes avec humour, ce n’est sûrement pas évident. Quel est donc votre secret ?
L’humour est un moteur puissant du théâtre et de l’attention que le spectateur peut y mettre. l’humour, ici, c’est la situation qui la donne, il y a bien entendu derrière tout ça la légende que Pagnol a popularisée (et ce n’est pas un secret) d’un jeu où l’on se prend au sérieux mais qui est en fait futile et dérisoire, et ça c’est comique. Et puis la vie n’est pas monolithique, on peut parler d’une chose tragique puis éclater de rire dans la seconde qui suit en abordant un sujet qui nous amuse. c’est ça la vie !
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon comédien ?
Son sens du second degré. Car le jeu théâtral est un vaste second degré, même lorsqu’il s’agit de faire pleurer. Le public d’ailleurs ne s’y trompe pas : il pleure ou il rit mais il sait pertinent que c’est « pour de faux » ; et de la vient tout le plaisir qu’on peut éprouver au théâtre.
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Par Lola Bourdeaux