Reportage Sarina Lève toi !
LÈVE-TOI
Chanteuse, auteure et musicienne belge, Sarina a transformé sa cécité en force créatrice. Entre hommages aux grandes icônes féminines de la chanson et récits intimes, elle offre au public un seule-en-scène musical, singulier et émancipateur.
Le spectacle de Sarina commence dans le noir. Une obscurité totale qui n’est pas synonyme de vide. Dès les premières secondes, l’artiste convoque des sensations — une odeur de naphtaline, la caresse du velours, le craquement des lames d’un parquet, la violence du racisme — comme un rappel : la vue n’est pas l’unique porte d’entrée vers l’émotion. Pour Sarina, c’est une évidence. Née malvoyante, elle perd les couleurs et toute vision à l’adolescence. Avec cette disparition viennent d’autres deuils : le vélo, le ski, le dessin, la légèreté de l’autonomie. Mais elle refuse d’être limitée à l’étiquette d’aveugle. Sa cécité devient sa révolte intime.
La musique comme une liberté
Dès l’âge de quatre ans, sa grand-mère, ancienne artiste de cabaret, l’initie au piano et au chant. Plus qu’un héritage, c’est une flamme. Sarina se souvient de ces répétitions comme d’une bulle de bonheur, suspendue à l’enfance. Cet apprentissage sera la clef qui ouvrira son champ des possibles, qui la sortira de la boîte dans laquelle la jeune fille craignait d’être enfermée, stigmatisée par son handicap. La musique se meut en espace où transformer sa frustration et sa colère, un lieu où chaque douleur se métamorphose en énergie créatrice : « avec la musique, n’importe quelle particularité peut devenir une force », défend-elle avec conviction.
Comme la prolongation une lignée de femmes
Aujourd’hui, Sarina se présente seule en scène, drôle, sensible, jamais mièvre, engagée. Elle fait vibrer la salle et, tout en paradoxe, partage sa clairvoyance sur la vie. Au fil de son récit, elle évoque ses élans, ses doutes, ses interrogations. Elle revendique la singularité comme une puissance : « quand on est une femme différente, il vaut mieux être là où on ne nous attend pas. » En plusieurs langues, s’accompagnant à la guitare ou au piano, elle ponctue ses confidences de reprises choisies dans le répertoire de femmes qui l’inspirent et qui l’ont précédée : Nina Simone, Joséphine Baker, Anne Sylvestre, Billie Eilish, Dolly Parker ou encore Fairouz. Des voix fortes et libres, en résistance, qui ont su briser le plafond de verre et tracer leur route. La jeune belge s’y reconnaît et s’y inscrit.
Une philosophie de vie contagieuse
La sobriété du spectacle n’enlève rien à sa vitalité, véritable invitation à se libérer des carcans, en restant fidèle à soi-même. Même si Sarina admet de pas aimer chanter l’amour, elle en dispense beaucoup, auquel s’ajoute un don d’énergie, de joie et de lucidité. Le public conquis claque des doigts, chante, danse, partage son souffle. Engaillardi, chacun se surprend à se sentir capable de relever ses propres défis. Et quand la dernière note s’élève, un mouvement commun s’impose : on se lève tous avec Sarina !
À l’Essaïon, du 13 octobre 2025 au 3 janvier 2026
Émilie Hangue Moquiot