Tristan Petitgirard, Metteur en scène de « La Machine de Turing »

La cérémonie des Molières 2019 a été marquée par la consécration de « La Machine de Turing » : quatre prix, dont celui de la meilleure mise en scène. Nous avons partagé un thé avec Tristan Petitgirard, brillant metteur en scène à qui l’on doit cette expérience visuelle et sonore de haute volée. Il nous raconte sa quête du détail et de l’équilibre musical. Passionnant !

Le théâtre, pour vous, c’est une histoire de famille, une passion, un hasard ?

Le spectacle est une histoire de famille. Mon père est musicien, chef d’orchestre et compositeur. Ma mère quant à elle a mis en scène de grands spectacles de rue sur le cirque. J’ai suivi des cours de théâtre et j’ai très rapidement développé le 3e œil : celui de la mise en scène. Je ne pourrais pas être qu’acteur, car on demeure dans l’attente, dépendant du désir des autres. Racontez-nous votre rencontre avec La Machine de Turing. Benoit Solès (auteur de la pièce) et moi sommes de très bons amis depuis des années. Il m’a donc fait lire sa pièce, alors qu’il jouait encore Rupture à domicile au Splendid. J’ai découvert une pièce brillante d’humanité, qui parle de l’intime, tout en se basant sur l’un des plus grands événements historiques du XXe siècle. Benoit a su déceler chez Turing le potentiel d’un grand héros de théâtre, et c’est un regard que personne n’avait encore posé sur lui. C’est pourquoi j’ai immédiatement voulu mettre en scène cette pièce.

Vous avez effectué un formidable travail vidéo sur cette pièce…

La vidéo était un vrai défi. Utiliser des images créées par ordinateur pour raconter la vie de celui qui l’a inventé relève du paradoxe. Afin que la technologie ne nous sorte pas de l’époque, j’ai construit des images oniriques, qui représentent les pensées de Turing. L’utilisation de filtres et de dessins à la morphogénèse ont permis de ne pas avoir d’images trop réalistes et contemporaines. Comme tirées de l’imaginaire de Turing, elles s’intègrent parfaitement à la pièce.

Comment avez-vous abordé la construction sonore de la pièce ?

Je suis avant tout un metteur en scène musical. Mes mises en scène sont en effet construites rythmiquement, avec des crescendos, des silences, des point d’orgue. J’accorde aussi un grande attention à l’équilibre musical entre les voix des acteurs. Pour cette pièce, j’ai eu le bonheur absolu de travailler avec Romain Trouillet. Nous avons élaboré une mélodie qui part du cliquetis de la machine… et qui se construit petit a petit. J’ai également demandé à ce que l’instrument soliste soit le violoncelle, car c’est celui qui se rapproche le plus de la voix humaine. Il s’accorde aussi parfaitement avec la voix de baryton de Benoit. La pièce recelle de flashbacks, de flashforwards, de fondus-enchaînés, etc. Vous aimez faire travailler le spectateur ? J’aime l’idée du spectateur-acteur. Il faut le faire réfléchir en lui donnant des clés de compréhension, sans pour autant lui mâcher entièrement le travail. En laissant quelques manques narratifs, je le force à se plonger dans la pièce, et par la même occasion, à rester concentré.

Ce Molière change beaucoup de choses pour vous ?

Ce Molière vient avant tout enraciner les liens d’amitié qui nous unissent, avec Benoit et Amaury. Il s’est réellement créé une famille de théâtre… et c’est exceptionnel. Ensuite, cela représente une liberté nouvelle, portée par un surplus de confiance de la part des producteurs, directeurs et acteurs.

Une pièce ou une œuvre qui vous a marqué récemment ?

J’ai été transpercé par Tous des oiseaux, de Wadji Mouawad, metteur en scène que j’admire. J’ai également était très ému d’aller voir Guru, opéra crée par mon papa à Szczecin, en Pologne.

 

Au Théâtre Michel

 

Par Sophie Geneste