Virginie Lemoine nous parle de « Suite française »
Depuis quelques années, Virginie Lemoine se consacre au théâtre corps et âme. Sa dernière mise en scène, très bien accueillie l’an dernier en Avignon, est une adaptation du roman inachevé d’Irène Némirovsky, « Suite française ». Une œuvre qui l’a bouleversée.
Comment vous est venue l’envie de monter Suite française ?
Ce livre, c’est un peu l’œuvre de ma vie. Je l’ai découvert, comme beaucoup, en 2004, lorsqu’il a reçu le prix Renaudot. Comme je lis énormément, je me tiens au courant des prix littéraires. J’ai d’abord lu Le Bal, que j’ai dévoré. Et ensuite, je me suis attaquée à Suite française. En parallèle, je me suis beaucoup intéressée à la vie d’Irène Némirovsky. J’ai consulté des archives, je me suis documentée… J’ai même rencontré sa fille, et ses petits enfants. C’est une belle rencontre dans ma vie. Cela m’a donné envie d’adapter cette œuvre qui m’a tant bouleversée. Quand l’occasion s’est présentée, avec Stéphane Laporte, j’ai foncé.
Comment fait-on pour retransmettre l’atmosphère du roman d’Irène Némirovsky (celle de l’Occupation) sur les planches ?
La pièce est une adaptation du livre. Je n’ai donc fait qu’un travail de brodeuse et n’ai rien réinventé. Ce sont ses mots, ses dialogues. Sa langue est déjà vivante et faite pour le théâtre. Ensuite, il y a eu un travail sur le son. La guerre, ça s’entend. Parfois, l’électricité vacille, par exemple… Qu’est-ce qui vous touche particulièrement chez cette auteure au destin tragique ? Bien sûr, il y a ce destin brisé par la Shoah qui m’a renversée. On se demande forcément, comment est-possible ? Ensuite, il y a cette écriture. Irène est Russe et elle le porte dans sa capacité à mêler le drame et la comédie dans une langue riche et puissante. Elle offre un regard pénétrant, sans concession, très aigu aussi, avec beaucoup d’empathie et de lucidité.
En parallèle, sera également présenté Tempête en juin, le premier volet de Suite française…
C’est vrai que ces deux œuvres sont complémentaires, mais indépendantes. Irène les avait pensées à la manière de Guerre et Paix. Elle voulait poursuivre l’écriture de cet ouvrage jusqu’à la libération. Ce premier tome, qui parle de l’exode, contient 38 personnages. Il fallait donc un comédien virtuose pour tous les interpréter, et c’est le cas de Franck Desmedt. Je le connais depuis longtemps, c’est un comédien fabuleux. Il arrive très bien à faire vivre tous les personnages, sans que l’on soit perdu dans la narration. Et c’est important, car le public est là pour recevoir, pas pour réfléchir, donc il fallait pouvoir laisser couler le récit…
Quelle relation entretenez-vous avec les comédiens que vous dirigez ?
Je suis amoureuse d’eux ! J’adore lorsqu’ils me disent : « J’aimerais qu’on retravaille ensemble… ». Je les dirige avec respect, en les accompagnant, tout en sachant où il faut aller. Eux, tout comme moi, nous sommes nus les uns en face des autres. Ce travail nous dévoile, on voit la personne dans tout ce qu’elle est, et cela exige une grande confiance. Lorsque je vois mes comédiens jouer, je suis émue, enthousiaste, j’ai le cœur qui bat…
Quels sont vos projets à venir pour cette nouvelle saison ?
Je prépare une adaptation d’un livre de Philippe Jaenada, Spiridon Superstar. L’histoire se déroule lors des Jeux olympiques, c’est donc un vrai défi de mise en scène. Il sera présenté cet hiver, en Suisse. Je travaille également sur un autre texte avec Stéphane Laporte, qui sera présenté en Avignon en 2020. L’année prochaine, je participerai aussi au nouveau collectif des Funambules sur la défense des femmes.
Au Théâtre de La Bruyère, à partir du 10 septembre
Par Nadine Pernay