LES POUPÉES PERSANES – Du rire aux larmes

Après un triomphe aux festivals Off d’Avignon 2021 et 2022, « Les Poupées persanes », ces poupées de l’amour et de l’exil, reviennent à Paris au Théâtre des Béliers avant une tournée à travers la France.

La comédienne dramaturge Aïda Asgharzadeh porte en elle tout un univers

Des histoires enfouies qu’elle brûle de raconter. Elle écrit, elle joue la douleur de l’exil, les révolutions avortées et puis l’amour aussi, sur une mise en scène de Régis Vallée. Dans ces Poupées persanes, quatre personnages, étudiants iraniens pleins d’illusions dans le Téhéran des années 1970-80 participent à la lutte révolutionnaire, à la chute du Shah et voient leurs rêves brisés avec l’arrivée au pouvoir islamiste de l’imam Khomeini. D’eux ne reste, 20 ans plus tard, qu’une femme qui a fui en France avec deux petites poupées vers la liberté. Deux soeurs qui s’ennuient ferme, traînées par leur mère dans un chalet prêté à Avoriaz pour y fêter le passage à l’an 2000. Deux poupées devenues grandes, libres et impertinentes.
Si le monde a changé, l’écho du passé va venir résonner avec puissance. Les liens entre passé et présent se tissent avec délicatesse, par touches successives. Les mythes persans avec l’histoire d’amour du couple mythique Bijan et Manijeh côtoient la réalité politique, les amours et douleurs se répondent en miroir.
Aïda sait révéler l’histoire tragique avec légèreté, elle a le secret pour jouer sur la gamme subtile des émotions. Elle a compris que ce qui la touche intimement va émouvoir d’autres personnes. Et ces autres personnes sont de plus en plus nombreuses à accourir à chacun de ses spectacles.
Cette pièce Les Poupées persanes est particulière pour Aïda, elle est à l’origine de son envie pour ce métier, de sa motivation à comprendre comment on raconte une histoire.

Si cette histoire n’est pas vraiment celle de ses parents, elle y ressemble

Aïda entrouvre son bagage culturel et familial et c’est un conte tendre, poétique et poignant qui s’en échappe. Un bel hommage aux siens et à la cohorte des déracinés. Elle manie avec tact, élégance et humour l’évocation des destins contrariés et des rêves dévastés. Cette histoire tragicomique entrelace récits et époques, on passe de la bibliothèque de Téhéran dans les années 70 à un chalet d’Avoriaz à l’aube de l’an 2000. La mise en scène est articulée avec malice en tableaux successifs par Régis Vallée comme autant de pages d’une histoire qui se tournent. Les acteurs transforment les décors ingénieux et changent de rôle, jonglant avec maestria et fluidité.
En scènes courtes et enlevées, par touches légères mais toujours pertinentes, Aïda évite un récit théorique. Le contexte historique est évoqué avec force sans être didactique. C’est par l’émotion qu’elle nous plonge au coeur de cette histoire de peuple sacrifié et d’héroïsme ordinaire, de déracinement et de culpabilité, de résilience et de révolution dérobée. Aux scènes de violences répondent les moments d’insouciance. Face aux drames de la répression se dresse l’amour.

Cet amour qui résiste, qui circule et qui gagne

Comédiens et comédiennes rivalisent de générosité et de virtuosité, tour à tour émouvants et comiques autour de leur muse Aïda; Kamel Isker, Azize Kabouche, Toufan Manoutcheri, Sylvain Mossot et Ariane Mourier.
Ces poupées persanes espiègles viennent nous parler des déracinés avec autant d’intensité que de légèreté. Elles nous révèlent le poids de l’héritage, des origines et de la transmission, et surtout le chemin de l’espoir. Les chants iraniens ponctuent ce conte et vibrent sur la salle ensorcelée.
À la fin du spectacle, le public chaviré peine à quitter ces personnages, l’émotion est palpable.

Par Sabine Komsta

AU THÉÂTRE DES BÉLIERS PARISIENS