Rencontre avec Jean-Michel Ribes

Nous avons rencontré Jean-Michel Ribes à la sortie de “Sulki et Sulku ont des conversations intelligentes”, sa dernière création au Théâtre du Rond-Point. Une mise en scène burlesque et épurée, un peu dada, qui laisse librement digresser deux personnages échappés de sa pièce à succès “Musée haut, Musée bas”. De petites réflexions en grandes considérations pour divaguer sur notre société, se laisser aller à penser et prendre la pose en costume seventies.

Un échange en faveur du culot et de prise de risque.

© Giovanni Cittadini Cesi

Les personnages Sulki et Sulku sont tirés de “Musées Haut, Musée Bas”, une pièce que vous avez écrite il y a plus de dix ans. Qu’est-ce qui vous a donné envie de les faire monter sur scène aujourd’hui ?

Déjà après Musée Haut, Musée Bas, on avait envie de continuer l’aventure avec Micha Lescot et Jean Damien Barbin, qui jouaient le couple à l’époque. D’autres projets se sont concrétisés, comme le film, et ils me sont revenus dans la tête plus tard. J’ai senti qu’ils voulaient recouvrer leur liberté et parler sans partager la scène avec d’autres personnages, bref, devenir libres. Ils ont commencé à parler, j’ai trouvé leurs conversations amusantes et j’ai décidé de les mettre en scène.

C’est quoi être metteur en scène ?

Surtout, pour moi, un metteur en scène ce n’est pas quelqu’un qui prend la place de l’auteur. Ce n’est pas quelqu’un qui, comme un coucou, viendrait pondre ses œufs dans le nid d’un autre. Le metteur en scène est un passeur. C’est quelqu’un qui doit découvrir des textes, des auteurs, et les amener au public. Avec ce talent indispensable, celui de savoir diriger des comédiens pour qu’ils aillent dans le sens de la musique jouée par l’auteur. Un bon metteur en scène, par exemple, c’était Patrice Chéreau, un ami pour qui j’ai la plus grande admiration. On s’en souviendra car c’est lui qui a découvert Koltès, un auteur nouveau et formidable qu’il a fait découvrir au public. Malheureusement ses mises en scène, on ne s’en souvient moins car c’est plus éphémère. Mais c’est l’orgueil du théâtre d’être éphémère. C’est ça, un bon metteur en scène. Quelqu’un qui doit aller chercher des talents, les offrir au public et les montrer parce que trop souvent les auteurs ne peuvent pas le faire eux-mêmes.

Après tant de temps à la tête du Théâtre du Rond Point, pourriez-vous revenir à des projets de télévision ?

La télévision aujourd’hui est envahie par la téléréalité et souvent par les ricaneurs –c’est une sorte de rire fast-food– mais aussi d’émissions où les gens sont ravis de se regarder eux-mêmes dans leur salle de bain. On m’a proposé des projets si éloignés de moi, j’avais l’impression qu’ils n’avaient pas vu ni “Palace”, ni “Merci Bernard”… jusqu’à présent j’ai toujours refusé. Tant qu’il y aura un manque de culot, de fantaisie et de saut dans le vide, c’est sans moi.

Pourquoi est-il parfois si difficile pour les théâtres parisiens de faire salle comble ?

Susciter l’intérêt des gens est de toute façon un exercice très difficile. Il me semble que les temps ont changé et que les vieilles recettes marketing de la vedette et de l’amant dans le placard ne marchent plus. Il faut cesser de considérer le public comme le fait la télévision, c’est à dire à l’échelle de l’audimat. Les gens aujourd’hui sont curieux, exigeants, et ont soif de surprises, de plaisirs inattendus. Bref qu’on les aide, comme le disait Aragon, à « creuser des galeries vers le ciel »… Et je ne parle pas du prix des places dans le privé…

Comment le théâtre est-il amené à évoluer dans vingt, trente ou cent ans ?

Ce qui est certain, je crois, c’est que plus il y aura d’images, de vidéos, plus il y aura de web, d’informatique… plus le théâtre restera. Le théâtre aurait pu disparaître comme le carrosse a disparu avec l’automobile, il aurait pu disparaître avec la télévision. Mais non, il est resté parce que c’est un endroit où les vivants sont avec les vivants. Il y a une chaleur qu’on peut voir, toucher. Je pense que c’est cette chaleur, ce ressenti, cette émotion qui maintient le théâtre comme un art à part. C’est cette proximité à la fois émouvante, tendre, qui renforce un lien très fort entre le spectateur et l’acteur qui joue devant lui. Alors qu’au cinéma, comme le disait Edwige Feuillère, « les acteurs ne jouent pas, ils ont joué ». Que restera-t-il du cinéma ou de la télévision après la bombe atomique ? Rien. Mais il y aura toujours une planche sur laquelle trois survivants viendront faire les clowns devant trois autres.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune comédien ?

Je ne suis pas un donneur de conseils… Mais je crois qu’il ne faut pas attendre. Il faut croire en soi, aller vers les choses qu’on a envie de faire, même si cela ne va pas dans le sens du consensus. Et si on n’a pas de travail, il faut jouer soi-même, aller n’importe où, dans les bistrots, monter sur les tables. Mais surtout ne pas être un objet de désir qu’on ne désire pas, ne pas faire le trottoir des metteurs en scène. Vous savez le mot poète en grec ça vient de « poiéô » et ça veut dire « faire ». Le poète, ce n’est pas seulement quelqu’un dans les nuages, c’est aussi quelqu’un qui fait. Il faut se prendre en main, croire en soi et avancer.

Il y a un peu de folie dans ces personnages… Et vous, quel est votre rêve le plus fou ?

Je n’ai pas de rêve le plus fou, je vis déjà assez quotidiennement dans mes rêves. Ils sont fous tout le temps. Et puis mon rêve le plus fou s’est déjà réalisé : reprendre le théâtre du Rond Point et le faire revivre.

Et enfin, une question qu’on ne vous a jamais posée et à laquelle vous aimeriez répondre ?

Eh bien, surtout une question que je ne veux surtout pas que l’on me pose : mais ou allez-vous chercher tout ça ? Parce que je ne sais pas…

Propos recueillis par Philippe Garçon et Marc Bélouis (Humanvibes)