3 ANNONCIATIONS
Interview croisée de Pascal Rambert et Audrey Bonnet
Sur la scène prestigieuse du théâtre National de Chaillot se joue une pièce singulière et magnifique intitulée « 3 annonciations », créée au Théâtre National de Bretagne en 2020. Trois comédiennes, chacune dans leur langue maternelle, se réapproprient le mythe fondateur de l’Annonciation qui a lieu entre la Sainte Vierge et l’ange Gabriel. Emporté par une langue magnétique, le public voyage à travers les temporalités jusqu’à la découverte d’un avenir effrayant et trouble. Rencontre inspirante avec Pascal Rambert : auteur et metteur en scène de génie, et Audrey Bonnet : comédienne vibrante et muse rambertienne.
Pascal, comment est né ce désir de vous emparer du thème de l’Annonciation ?
Pascal Rambert : Au cours d’une Biennale à Venise où j’étais convié pour donner une master class à de jeunes acteurs du monde entier, l’idée m’est venue en regardant autour de moi, dans les églises, dans les musées. La scène de l’Annonciation est un motif pictural récurrent de l’époque du Quattrocento, j’ai eu envie de faire parler ces tableaux.
Cette pièce est un triptyque où chacune à leur tour les comédiennes délivrent une prise de parole prophétique. Audrey, où nous emmène votre Annonciation?
Audrey Bonnet : Elle nous transporte à un moment où on ne peut plus vivre sur notre planète, les conflits absorbent tout, la nature est incapable de se déployer. Mon monologue retrace le moment où une mère s’acharne pour que sa fille puisse embarquer dans un vaisseau pour l’espace, elle lui lâche la main afin qu’elle quitte la Terre…
Vous portez un costume de cosmonaute. Chaque comédienne revêt un costume différent dans lequel elle semble trouver une force incroyable…
AB : Enfiler ces trois costumes influe sur notre comportement, sur notre énergie. Lorsqu’on se relaie derrière la scène, que je vois apparaître les comédiennes parées de leurs ailes et de leur couronne, ça me bouleverse toujours.
Cette émotion dans le croisement en coulisses, autour d’une parure, c’est quelque chose de rare. L’esthétique joue un rôle primordial dans le spectacle…
PR : C’est ma deuxième collaboration avec Yves Godin qui s’occupe de la lumière, ensemble on obscurcit les théâtres, et on fait apparaître des corps dans des espaces complètement noirs. C’est une façon de mettre le spectateur à une place d’auteur, une place d’autorité pour sa propre imagination, ce qui me semble essentiel au théâtre.
La pièce est échafaudée sans ponctuation, la parole est ainsi libre de se déployer…
PR : Mon seul travail c’est de faire parler des gens. Et c’est aussi une question de langage. Je souhaitais faire fonctionner ensemble ces comédiennes que j’aime tant, que les langues s’enchaînent sur le plateau. Je travaille avec des acteurs du monde entier, c’est cette vie entre les langues que je voulais mettre sur scène.
AB : L’absence de ponctuation crée une forte pulsation, la respiration se trouve dans le flow pas dans le détail. Lorsque j’arrive sur le plateau, la parole a déjà été ouverte, d’abord en italien, puis en espagnol, et en français. En coulisses, on s’exprime en anglais. On est embarqués dans des racines et des cultures différentes, c’est déboussolant, c’est l’endroit rêvé pour un acteur.
Quels mots choisiriez-vous pour définir votre lien artistique ?
PR : Audrey pourrait être pour moi une sœur de lait. Lorsque j’écris, j’ai toujours Audrey dans l’oreille. Mon guide d’aveugle dans la nuit qu’est l’écriture d’une pièce, c’est sa voix.
AB : Je parlerais quant à moi de frère d’eau. Entre nous, c’est quelque chose qui vient se planquer dans les cellules, comme si on était reliés par un avant ancestral.
« ON EST EMBARQUÉS DANS DES RACINES ET DES CULTURES DIFFÉRENTES, C’EST DÉBOUSSOLANT, C’EST L’ENDROIT RÊVÉ POUR UN ACTEUR. »
Audrey Bonnet.
Quels sont vos autres projets ?
AB : Avec Ambre Kahan, nous travaillons l’adaptation du roman culte de Goliarda Sapienza : L’Art de la Joie. Je m’occupe également de la diffusion du texte Sur les Chantiers de l’éternité que j’ai mis en scène.
PR : Je présente deux créations aux Bouffes du Nord : Ranger avec Jacques Weber et Perdre son sac avec Lyna Khoudry. Et je viens de finir l’écriture de Mon absente : une pièce chorale qui réunit Audrey, Stanislas Norday et des acteurs de l’école du TNS. Visuellement, c’est encore une plongée absolue dans l’obscurité où naviguent des personnages qui se rassemblent autour de la perte d’un être cher. Les sujets que je mets dans le corps des acteurs sont toujours des saillies de la vie : des séparations, des deuils, cependant, je travaille toujours dans la joie. Et je m’entoure de comédiens qui, comme Audrey, ont une intense capacité solaire.
« LES SUJETS QUE JE METS DANS LE CORPS DES ACTEURS SONT TOUJOURS DES SAILLIES DE LA VIE : DES SÉPARATIONS, DES DEUILS, CEPENDANT, JE TRAVAILLE TOUJOURS DANS LA JOIE. »
Pascal Rambert.
Par Marie-Lys de Cerval.
AU THÉÂTRE NATIONAL DE CHAILLOT.