Pierre Arditi

L’incontournable du théâtre

Quand on pense théâtre, on pense Arditi ! Quasiment tous les ans au théâtre depuis 1965, Pierre Arditi est devenu un incontournable de la scène. Son interprétation unique lui a valu de nombreuses nominations et décorations, tout aussi bien au théâtre qu’au cinéma, avec notamment deux Césars en 1987 et 1994. Après de nombreux rôles comiques, Pierre Arditi revient dans un registre plus introspectif et noir, avec toutefois quelques touches d’humour, précise-t-il, au théâtre de l’Atelier. Il joue le rôle principal dans “Le Cas Sneijder”, une pièce adaptée du roman de Jean-Paul Dubois.

Théâtre de l’Atélier  Jusqu’au 22 avril

Racontez-nous “Le cas Sneijder”.

Le point de départ, c’est un homme qui est victime d’un accident d’ascenseur dont il ressort seul survivant. Il perd sa fille et son obsession devient celle de comprendre pourquoi cet accident a eu lieu et pourquoi ça a coûté la vie à sa fille. Petit à petit, cet homme se détache de cette vie qui était la sienne. Tout cela se passe au Canada, à Montréal, dans une ville où la verticalité l’emporte sur tout le reste. Et c’est cette analyse que Sneijder entreprend pour comprendre que cette verticalité peut nous écraser.

Qu’est-ce qui vous plaît dans ce rôle ?

C’est une tessiture que je n’ai plus abordée depuis un bon moment, parce que ces derniers temps j’ai beaucoup joué des comédies ou des spectacles dans lesquels je suis une locomotive qui tire une sorte de train d’enfer. Là, au contraire, le personnage est en mineur. On entre dans son cerveau. C’est donc un personnage qui est soit en silence, soit en perception, soit en attente ou dans une quête presque silencieuse. Ensuite, la démarche du personnage est belle, elle reste très humaine. Moi je suis un stanislavskien, alors je n’ai pas tellement de mal à imaginer d’être déchiré par la perte d’un enfant ou que le monde qui m’entoure peut parfois m’anéantir.

Comment gardez-vous la flamme après plus de 50 ans au théâtre ?

Je mets en pratique cette recommandation de Confucius : « Choisissez un métier que vous aimez et vous ne travaillerez pas un seul jour de votre vie. »

Avez-vous un rituel avant de monter sur scène ?

J’ai des tics plutôt que des rituels : je m’habille en plusieurs fois, je traîne dans les couloirs et pas forcément dans la loge, je bois des café, trop d’ailleurs ! Être dans sa loge quatre heures avant et brûler de l’encens en attendant que la représentation arrive ? On s’est tellement vidé à se concentrer qu’on n’a plus rien à faire en scène. Au contraire, j’essaie de me rendre disponible à une aventure qu’apparemment je connais par cœur et dont il faudrait que j’ignore tout.

Un moment de théâtre qui vous a marqué ?

La première fois que j’ai joué dans ma vie professionnellement, j’étais au théâtre de Lutèce en 1965 sous la direction de Marcel Maréchal. C’était une pièce de Jacques Audiberti qui s’appelait “L’Opéra du monde”, pour une femme seule incarnée par Emmanuelle Riva. J’ai un souvenir émerveillé d’Emmanuelle qui était quelqu’un d’assez sauvage. Je m’étais mis dans la salle pour la regarder travailler et elle ne l’a pas supporté ! En réalité, elle n’était pas sûre d’elle-même et elle ne voulait pas qu’on la voit chercher. Je l’ai compris plus tard. Ça m’a marqué parce que c’est elle qui m’a montré ce que pouvait être un acteur, à la fois connu et en même temps fragile. Je n’ai jamais oublié ça.

Il y a des choses qui vous agacent au théâtre aujourd’hui ?

La seule chose qui me désole vraiment, c’est à quel point la famille théâtrale est divisée. Je me souviens de cette phrase de Laurent Terzieff : « Le théâtre, ce n’est pas ceci ou cela, mais ceci et cela. » Je n’aime pas le sectarisme. Ça devrait être recommandé aux acteurs d’avoir une palette la plus large possible. C’est le célèbre procès fait au théâtre du boulevard. C’est une lutte fratricide stérile et indigne de gens dont le premier devoir dans ce métier est de s’adresser aux autres et au monde.

Au cinéma, vous étiez l’un des acteurs fétiches d’Alain Resnais. Comment se passaient les tournages avec lui ? D’abord, je trouve qu’Alain Resnais a toujours fait un cinéma qui était cousin germain du théâtre. C’était un cinéma théâtral au beau sens du terme. On répétait, on réfléchissait, on faisait des essais, des variantes. Il fallait d’abord qu’on ait compris ce qu’on venait faire sur le plateau. Il n’imposait pas, il proposait. Les acteurs proposaient aussi. Et ce cocktail mélangé faisait ce cinéma qu’il a magnifiquement réalisé au cours de sa vie. C’était donc un univers à la fois méticuleux, fouilleur des possibilités des personnages et en même temps délicieusement enfantin. Je n’ai jamais retrouvé ça chez personne après.

Quels sont vos projets ?

Je vais tourner une comédie pour la télévision avec ma femme Évelyne Bouix. Je vais, je l’espère, participer au prochain film de Valeria Bruni Tedeschi. En principe aussi au prochain film de Nathan Miller où j’incarnerai Chateaubriand au dernier stade de son âge. Je partirai ensuite en tournée avec mon ami Daniel Russo pour la très belle pièce “L’être ou pas”.

Quel est votre rêve le plus fou ?

C’est de vivre encore pendant de nombreuses et de nombreuses années sans être atteint par la maladie ni par le gâtisme, ni par la perte de mémoire, ni par la décadence physique. Mais c’est évidemment un rêve fou puisque, comme tout le monde, je ne manque pas de vieillir et, à un moment donné, tout ça s’arrêtera.

Une question que l’on ne vous a jamais posée à laquelle vous aimeriez répondre ?

Ce sont les questions que je me pose à moi-même et que je finirai par livrer dans un bouquin. Comment aborder le fait que la vie un jour se termine ? Il y a des âges où on s’en fout et il y a des âges où on s’en fout moins. Je suis arrivé à un âge où non seulement on s’en fout moins, mais on ne s’en fout pas du tout !

 

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