RENTRÉE 42, BIENVENUE LES ENFANTS

Interview de Xavier Lemaire

(c) Alejandro Guerrero

Après avoir conquis le Festival d’Avignon l’été dernier, cette création de Pierre-Olivier Scotto et Xavier Lemaire s’installera au théâtre de la Comédie Bastille dès la rentrée. Nous avons rencontré Xavier Lemaire, metteur en scène de cette pièce où le drame et le rire s’entremêlent à l’occasion d’une rentrée scolaire pas comme les autres.

Xavier Lemaire

Pouvez-vous présenter cette pièce à nos lecteurs ?

On est le 1er octobre 1942, dans une école de filles du 11e arrondissement de Paris. Quatre maîtresses se retrouvent pour préparer la rentrée des classes, mais à 8h25, sur les 123 élèves prévus, seuls 17 sont là. Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Que fait-on ? On va alors découvrir la triste réalité de la rafle du Vel d’hiv. Ces quatre enseignantes ont des âges, des tempéraments, des situations, des avis politiques, des empathies très différentes, mais elles ont en commun un immense amour des élèves, de l’éducation et vont affronter ensemble la situation exceptionnelle dans laquelle elles se retrouvent.

Pourquoi avoir eu envie d’aborder cette période, et plus précisément cet événement de l’Histoire ?

En me baladant dans le IVe arrondissement de Paris, je me suis retrouvé devant une plaque commémorative sur le mur d’une école, qui indiquait qu’ils n’étaient que 8 élèves à la rentrée. Qu’est-ce qu’une école sans élève ? J’ai trouvé le sujet extrêmement théâtral et je m’en suis inspiré. Pierre-Olivier Scotto a été d’autant plus enthousiasmé par le sujet que son père était instituteur ! La pièce joue sur ce moment terrible de l’absence, sur l’éducation aussi, et s’inscrit dans la tradition des pièces chorales où les destins se croisent, se chamboulent. Le texte et la mise en scène sont empreints d’une certaine légèreté et d’humour.

Le rire peut-il s’apparenter à une forme de résistance selon vous ?

Absolument ! Nous avons fait le pari de la tragi-comédie en écrivant car nous ne voulions pas avoir peur du rire. Ça ne veut pas dire qu’on ne tire pas l’alarme, mais je voulais que le moment dramatique devienne drôle, comme dans les comédies italiennes. Je ne crois pas que l’on puisse se dire « je vais écrire pour faire rire ». On peut créer le climat pour que le rire jaillisse, mais il reste un moment exceptionnel qui nous surprendra toujours et n’appartient qu’au public.

Quel est le moment de la pièce, la réplique peut-être, qui vous touche le plus ?

« Liberté, égalité, fraternité, ou la mort ». On fait dire aux maîtresses cette phrase capitale qui était la phrase initiale de la Révolution. C’est particulièrement fort parce qu’avec le temps, on a oublié « ou la mort ». On a oublié qu’il s’agit d’un ensemble, qu’il y a une interdépendance entre la liberté, l’égalité et la fraternité.

Si vous deviez citer une pièce, un rôle qui a particulièrement marqué votre carrière ?

Comme acteur ça a été de jouer Dumas. J’ai aimé approcher cet homme. Comme metteur en scène, j’ai eu un choc théâtral en montant L’échange de Claudel, dans lequel je jouais aux côtés de Grégory Baquet, Isabelle Andréani et Gaëlle Billaut-Danno. C’est pour moi la plus grande pièce de l’histoire du théâtre. Claudel est fastidieux à comprendre, mais quand on a compris sa logorrhée, sa force poétique est un envoûtement. Tout dans cette pièce me met en larmes. J’ai d’ailleurs mis 20 ans à le monter car je ne m’en sentais pas capable avant.

Y a-t-il un rôle, une pièce qui vous fait rêver ?

J’ai beaucoup de pièces dans ma tête, d’histoires à raconter ! Mais il y a une chose que je n’ai jamais faite en 35 ans parce que je ne m’en sens pas capable et que je l’ai trop vu bien monté : c’est Molière.

Qu’avez-vous envie que les gens se disent en sortant de ce spectacle et avec quelle émotion principale vous aimeriez les voir partir ?

J’ai envie qu’ils soient émus, touchés. C’était important pour nous que les spectateurs rentrent dans cette classe, en vivent les différents moments, et que ça leur procure des émotions sur leur propre destinée, sur les écoliers qu’ils ont été. J’ai envie aussi que, désormais, quand ils traverseront une rue et verront cette plaque sur une école, cela fasse écho en eux.

D’autres projets actuellement ?

Je jouerai dans Gary devant soi au Théâtre du Balcon, cet été, au Festival d’Avignon ! On y retrouvera aussi Rentrée 42, au Théâtre de la Luna.

Au Théâtre de la Luna, à Avignon, du 29 juin au 21 juillet

A la Comédie Bastille, à Paris, à partir du 5 septembre

Par Mélina Hoffmann