LE RADEAU DE LA MEDUSE

Une interview croisée

© Yann Etesse

À l’occasion de la reprise de la pièce d’Alexandre Delimoges, « Le Radeau de la Méduse », interprétée par Anne Cangelosi, nous les avons tous les deux rencontrés pour nous parler de cette aventure artistique aussi drôle qu’instructive !

Cette pièce nous parle de la plus célèbre toile de Géricault, exposée au musée du Louvre. Pourquoi ce tableau plutôt qu’à un autre ?

Alexandre Delimoges : Ce tableau a frappé mon esprit lorsque je l’ai vu enfant, avec l’école. Il est immense, aussi bien par sa taille (35m2) que par sa dimension politique ou encore artistique. Ces éléments réunis le rendent presque effrayant, en tout cas fascinant. Par ailleurs, j’adore l’Histoire, et il raconte à lui tout seul tout un pan de notre Histoire de France.

Anne Cangelosi : Quand Alexandre m’a proposé ce texte, ma première réaction a été de lui dire : « Tu n’as rien de plus glamour ? C’est tout ce que je t’inspire ? » (Rires) Puis j’ai lu le texte, plein de livres autour du sujet, j’ai vu des documentaires et je suis tombée dedans comme Obélix dans la potion magique ! Le sujet est passionnant, et surtout comment Géricault a su retranscrire, exprimer tout ça sur la toile me fascine !

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

AD : Anne avait repris le chemin de l’école de théâtre après une longue période de maternité et de travail dans la communication. Je dirigeais cette école à l’époque, et j’ai aimé sa volonté, sa sensibilité, sa candeur. Je lui ai proposé de la mettre en scène dans son nouveau spectacle, et depuis nous en avons monté quatre. Une belle rencontre artistique mais surtout humaine !

AC : Effectivement j’ai rencontré Alexandre, il y a 15 ans maintenant ! Au départ j’ai une formation classique (j’étais au cours Véra Gregh de la promo de Karin Viard, Léa Drucker, Julie Gayet…), j’ai arrêté pendant une quinzaine d’années parce qu’au fond ce métier me faisait très peur et plus j’y pense plus je me dis que je n’étais pas « prête ». Il est le premier qui m’a pris par la main et m’a dit « viens, on peut y arriver ensemble ! ». Je lui dois beaucoup et je l’admire beaucoup. C’est un visionnaire !

Anne Cangelosi, vous y interprétez une conférencière assez originale !

AC : Oui, c’est une femme un peu bougonne bourrée de fêlures, de contradictions, un peu abîmée par la vie. Elle est en pleine séparation, j’ai imaginé aussi qu’elle aurait aimé être peintre mais s’est rendu compte qu’elle n’avait pas assez de talent… Elle se retrouve donc à commenter l’œuvre des autres avec une pointe de jalousie, en filigrane. Elle voue une admiration sans borne à ce tableau et semble à la fois le détester car elle y voit sa propre vie qu’elle considère comme un naufrage. Je l’aime beaucoup et c’est vrai qu’elle me ressemble ! (Rires) Elle a un côté très terre à terre, et elle admire Géricault pour son engagement politique, son côté jusqu’au-boutiste.

Comment faites-vous vivre ce monologue sur scène ?

AD : Anne dégage une sympathie immédiate, même lorsqu’elle joue un personnage bougon qui nous enguirlande. C’est une qualité que le public apprécie tout de suite. Et qui évite le côté monotone dans lequel pourrait tomber une vraie conférencière !

AC : Le texte d’Alexandre est magnifique et en même temps très drôle. J’adore ce spectacle et j’ai envie de convaincre le public que ce tableau est magique, lui donner envie de traverser la toile, d’aller au Louvre pour le voir « en vrai ». D’autant plus qu’il est amené à disparaître puisque pour l’instant on ne peut pas le restaurer et il noircit. Ce qui nous interroge sur le temps qui passe, l’immuabilité des choses… Ce tableau est bien plus qu’un simple tableau ! C’est un miroir !

Ce spectacle ne s’adresse pas seulement aux passionnés d’art ?

AD : Au contraire, il s’adresse surtout aux curieux. On y apprend plein de choses sur l’Art, l’Histoire de l’Art, mais c’est « au passage », « mine de rien ». Ce qui me motive à écrire, c’est l’amour des gens, leur faire plaisir, les émouvoir, les embarquer dans une histoire. Certainement pas étaler une culture que je ne connais pas suffisamment moi-même ! J’ai fouillé tel un archéologue amateur mais passionné, et j’ai mis ce que j’ai découvert dans la bouche d’un personnage loufoque. Le reste c’est Anne qui l’apporte avec son humour, sa générosité, sa sensibilité et sa colère contre l’injustice, qui apparaît clairement dans son interprétation.

AC : Bien sûr il y a toujours des férus d’histoire et d’art mais aussi des gens qui n’y connaissent rien, moi la première, et qui ressortent du spectacle en ayant appris quelque chose tant au niveau historique, artistique ou politique et ça grâce à l’humour. L’humour c’est un peu la gorgée d’eau qui fait passer la pilule !

A la Comédie Bastille

Par Mélina Hoffmann