Michel Didym, contemporain ou classique ?
Quand un jeune maître du théâtre contemporain français adapte un monument du répertoire classique, le résultat est saisissant. Une adaptation épurée, où le texte occupe une place centrale et qui dépoussière la version originale du “Malade Imaginaire”. Au théâtre Déjazet, jusqu’au 31 décembre.
© Éric Didym
Nous avions l’habitude de vous voir plutôt mettre en scène des pièces contemporaines, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous attaquer à ce chef d’œuvre de Molière, beaucoup plus classique ?
J’ai été frappé par la modernité de ce texte d’une incroyable actualité puisqu’il est question de corps et d’argent. Quoi de plus moderne que le corps et l’argent ? Ils sont au cœur de la préoccupation de l’homme. C’est d’abord ce qui m’a frappé : la modernité incroyable de la pièce. Ce n’est pas du tout une histoire de malade, c’est une histoire de captation d’héritage et d’amour forcé, de mariage forcé. Molière réalise cette pièce comme son ultime œuvre. Il met donc dedans tout son savoir faire de dramaturge. Il fait de la comedia del arte, de la comédie, du drame bourgeois, du théâtre philosophique, ça change de style à toutes les scènes !
Elle dresse un portrait très acerbe de la médecine, le partagez-vous ?
Ça m’a beaucoup frappé. Pour des raisons personnelles, j’ai du avoir recours à la médecine, notamment à une médecine assez violente, assez radicale et je me suis rendu compte qu’il fallait être en bonne santé pour subir des traitements. Si vous n’êtes pas en bonne santé le traitement vous achève. Il faut supporter 1) le traitement, mais aussi 2) la maladie.
L’angoisse d’Argan face à la mort est donc quelque chose qui vous parle ?
Oui, c’est un thème qui me parle. Je pense que ça parle à tout le monde. À vos parents, vos grands-parents. La mort et la maladie sont des sujets qui concernent absolument tout le monde.
Et que pensez-vous du personnage de Béline. Il est très moderne pour l’époque, non ?
La condition féminine est un des axes majeurs de ce texte. On y voit une figure incroyable, peut-être la première femme moderne du théâtre mondial. C’est la première fois qu’on voit une femme qui tire les ficelles. Dans certaines tragédies, on voit des femmes fortes orienter tout le débat mais c’est la première fois qu’une femme, une servante, par son intelligence et son esprit, est capable d’amener son histoire à un autre déroulement. Ensuite il y a le rôle de la fille qui préfère le couvent ou la mort plutôt que d’épouser quelqu’un qu’elle n’aime pas. Quelqu’un qui a une haute idée de ce que c’est que l’amour, une haute idée de la vie, de Dieu, et qui est prête à mourir plutôt que de vivre au rabais. Il y a vraiment énormément de conjonctions de phénomènes qui rendent cette pièce fabuleuse.
Pourquoi ce décor épuré ?
Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses qui étaient liées à la convention dans les pièces de Molière. Des manières de faire et de dire qui sont dépassées. Comme je n’ai fait que du théâtre contemporain, j’ai été amené à aborder ce texte comme si c’était un texte de théâtre contemporain. Je ne me suis pas du tout préoccupé de respecter une véracité historique ou une scénographie réaliste. Mais je me suis focalisé sur un espace scénique qui projetait du sens, un espace scénique qui permettait une certaine écoute du texte. Ce qui m’a animé, c’est la recherche de la plus grande intimité possible entre l’acteur et le spectateur. Pour que le public entende cette langue comme une langue moderne et contemporaine, comme la beauté de l’esprit, de l’intelligence et du sens critique. J’ai été amené à faire le choix d’une scénographie beaucoup plus épurée, à enlever les murs, les portes… et un énorme travail de lumière et d’esthétique autour de ça.
Finalement, est-ce que cela vous a paru plus difficile de mettre en scène une pièce du répertoire classique ?
Non, c’est un bonheur absolu pour un metteur en scène que d’avoir un tel texte. Il est fabuleux, avec des scènes d’anthologie. C’est une machine invraisemblable, incroyable. D’ailleurs je conseille à tous les jeunes auteurs que je soutiens aux éditions Les Solitaires Intempestifs de relire Molière, et voir comment on pourrait, en s’inspirant de cet auteur là, écrire des textes avec la même portée : portée philosophique, politique. Et avec la même construction théâtrale aussi avisée en matière de gestion de l’espace, du temps, des rebondissements et des mélanges entre le sordide et le sublime, les grandes ambitions et les gens qui ne pensent qu’à l’argent.
Quel est votre plus grand souvenir de théâtre ?
J’ai deux souvenirs très puissants. J’avais quinze ans, au Festival du Théâtre Mondial à Nancy et j’ai assisté au spectacle “Café Müller” mis en scène par Pina Bausch, une révélation absolue. Et le lendemain j’étais à 4 heures du matin au grand jardin, pour assister au spectacle de Puppets, avec des marionnettes géantes. J’associe ces deux spectacles à des moments de grâce absolue ou j’ai été tellement impressionné par le théâtre que j’ai décidé d’en faire ma vie, alors que j’étais destiné à tout à fait autre chose. Un choix au service de l’écriture et du jeu et pour ma passion de l’écriture dramatique.
Et une pièce récente que vous avez particulièrement aimé ?
“Au but” de Thomas Bernhard (Théâtre du Poche Montparnasse).
—
Le Malade Imaginaire au Théâtre Déjazet
Jusqu’au 31 décembre