AÏLA NAVIDI

La voix de l’exil

Avec « 4211 km », pièce aux 2 Molières qu’elle a écrite et mise en scène et dans laquelle elle joue, Aïla Navidi nous invite à un voyage intime qui explore la quête d’identité et l’héritage culturel. Entre Paris et Téhéran, entre l’exil et les racines, la pièce interroge la construction de soi dans un monde où les cultures se rencontrent et souvent s’entrechoquent. Rencontre avec une artiste en quête de sens et de liens, à travers une œuvre à la portée universelle.

4211 km évoque la distance géographique entre Téhéran et Paris, mais en quoi est-ce aussi un cheminement ? 

C’est un cheminement parce que je pense que c’est aussi finalement un chiffre qui symbolise le temps qu’il m’a fallu pour écrire cette histoire. Au-delà de cette distance géographique, ce que je voulais aussi avec ce chiffre, c’était raconter à quel point l’exil peut être proche et lointain. 4211 kilomètres, ça peut paraître peu de choses à vol d’oiseau, et à la fois, c’est aussi un mur qui se dresse dans cette histoire entre l’Iran et la France.

La pièce fait des allées et venues dans le temps, raconte par fragments, est-ce une image du déchirement du déracinement ?

Oui, je pense que le fait de raconter par fragments raconte aussi une partie qui est peut-être traumatique et qui arrive par flashs. Et puis, l’idée est que c’est une histoire qui est faite comme un puzzle à trous. Parce que je suis partie de mon prisme à moi, ces allers-retours, c’est aussi ce qu’on m’a raconté et, parfois, ce qu’on ne m’a pas raconté dans ce que j’ai imaginé de ce qui a pu se passer. Et donc c’est forcément décousu.

Que pouvez-vous nous dire du courage, de la vitalité et de la vulnérabilité qui habitent vos personnages ?

Ce que je peux en dire, c’est que j’ai à coeur de mettre en avant les invisibles et les invisibilisés, et dans 4211 km, ce sont les réfugiés politiques et leurs enfants. Ce que j’ai voulu montrer, c’est la force de la résilience des personnes déplacées. On n’est pas sur un champ de guerre, mais ce qui était vraiment important, c’était de montrer, dans la durée, à quel point l’espoir, l’envie de vivre fait ce que l’on est capable de réinventer, de se reconfigurer et de faire en sorte que les générations suivantes puissent vivre dans les meilleures conditions.

Entre devoir de vie et devoir de mémoire, que représente vraiment la musique ?

La musique a été, dans mon intime et dans ma vie, un moyen de communication entre la génération de mes parents et la mienne. Quand les mots nous manquaient, là où on ne parlait pas de nos deuils, les musiques plus nostalgiques, plus poétiques ont toujours résonné dans nos appartements. On savait, on sentait qu’il se passait des choses à  kilomètres de chez nous, sans qu’on ne nous l’explique. Aux réfugiés, la musique venait aussi panser leur chagrin. C’est le souvenir que j’en ai, c’est pour ça que j’ai voulu qu’elle existe comme ça, parce qu’elle génère des émotions fortes chez moi. Les musiques plus joyeuses, plus dansantes, ont aussi toujours été très présentes, comme pour nous relancer. Ça a toujours été un peu une forme d’oxygène et ça venait tourner des pages.

« Je suis plusieurs et je ne veux pas changer » : cette réplique de Yalda sonne comme un manifeste. Quel message porte-t-il ?

Cette réplique s’inscrit dans un moment où Yalda est dans un tourbillon administratif pour avoir la nationalité et qu’on lui demande de changer de prénom. Oui, c’est un manifeste qui, par rapport à l’Iran, laisse entendre une histoire : elle sera toujours libre et certainement qu’elle suivra, comme elle peut, le combat de ses parents. Ça s’inscrit aussi particulièrement à ce moment-là dans une France où la situation s’est aggravée, s’est durcie avec la montée des extrêmes. Changer de prénom, ça peut paraître anodin, et ça fait rire d’ailleurs énormément pendant le spectacle, mais la réalité est que ça m’a marquée au fer rouge parce que, à ce moment-là, je me suis vraiment interrogée sur la valeur de ma nationalité française à moi, par rapport à celle des Français d’origine. Je voulais mettre en avant la nécessité de s’interroger collectivement sur ce qu’on appelle l’intégration.

Au-delà des nombreux prix qui ont distingué la pièce, que vous disent les spectateurs et particulièrement la diaspora iranienne ?

Les retours du public sont très touchants. J’ai eu beaucoup de personne qui ne font pas partie de la diaspora iranienne qui se sont retrouvées dans cette multiculturalité, dans ces questions d’identité. Il y a aussi quelque chose de très fort, autour de la famille qui nous touche dans notre intime, les rapports avec les parents, les grand-parents. De la part de la diaspora iranienne, j’ai reçu beaucoup de tendresse, beaucoup d’affection, j’ai eu parfois l’impression de leur rendre une forme de dignité.

Actuellement au Studio Marigny