BÉRÉNICE
Isabelle Huppert en héroïne tragique
En mars, le Théâtre de la Ville accueillera la nouvelle adaptation de « Bérénice », de Jean Racine, mise en scène par Romeo Castellucci. Pour incarner le rôle-titre, ce prodige italien a choisi nulle autre qu’un prodige français, Isabelle Huppert. Une pièce prometteuse !
Une action atemporelle
« Titus, qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire » : c’est ainsi que Racine résume cette tragédie grecque dans sa préface. De fait, le dramaturge détaille en cinq actes la rupture entre le nouvel empereur Roman Titus, qui ne peut épouser l’étrangère Bérénice, reine de Palestine, pour des raisons politiques. Artiste multiple, reconnu pour la complexité et l’efficacité de son travail, Romeo Castellucci collabore depuis 1981 avec les plus grands théâtres et les meilleurs acteurs ; il reçoit ainsi plusieurs récompenses, y compris l’insigne de Chevalier des Arts et des Lettres en 2002. Le metteur en scène voit dans cette réécriture du XVIIe siècle une suspension du temps dans laquelle se mélangent morale grecque et morale chrétienne, suspension renforcée par l’inaction des personnages, simplement en proie à la douleur sans recherche d’échappatoire. De cette pause naît, selon le metteur en scène, une contemporanéité : s’il n’y a pas de véritable marqueur temporel, tout sujet devient actuel. « Ce qui me stimule également, c’est, si je puis l’exprimer ainsi, l’inactualité de Racine. Paradoxalement, l’inactualité de sa langue, de la rhétorique classique et de la théologie en général le rendent absolument contemporain, en écho à nos propres contradictions et impossibilités !
Amour et haine de la tragédie grecque
« J’ai un rapport étroit, complexe, presque ambigu au théâtre grec. Je ne peux pas dire que je l’aime, tout comme nous ne pouvons pas dire que nous aimons la gravité », dit Castellucci. Il considère la tragédie grecque difficilement adaptable, même par les plus grands auteurs, car il est difficile d’en traduire l’essence. Dans cette inexactitude, il trouve un terrain de jeu, une source d’inspiration inépuisable. D’ailleurs, ce ne sont pas les alexandrins de Racine qu’il compte mettre à l’honneur, mais plutôt la façon dont ils seront délivrés : « La façon en elle-même de donner la parole sera nécessairement tordue. Ce n’est pas la parole qui amène un signifié. La forme, la température, la stratégie de la parole et de la voix existeront pour mieux cacher, rompre avec la communication. » Si Bérénice déclamera ses vers d’une voix claire, celles des personnages qui l’entourent parviendront modifiées jusqu’au public. Il aura ainsi l’impression d’existences fantomatiques s’articulant autour de cette colonne dorsale qu’est le personnage principal.
Une actrice magistrale pour un rôle clef
« Bérénice est le point immobile et central du chaos, l’origine du typhon qui circule autour d’elle. » Une vision si monumentale de cette reine de Palestine justifie pleinement l’appel de Castellucci à Isabelle Huppert, qui est sans aucun doute une des plus grandes actrices françaises, aussi bien à la scène qu’à l’écran. Fréquemment sur les planches, elle déclarait en 2006 : « Après avoir joué au théâtre, la vie quotidienne paraît plutôt banale ». Castellucci confirme : « Isabelle est la synecdoque de l’art du théâtre mondial. Elle est l’actrice définitive. Pour une pièce définitive. » De fait, elle est la seule actrice du casting dont le nom ait été révélé avec plusieurs semaines d’avance et probablement la raison pour laquelle les spectateurs se presseront pour aller voir la pièce, dont la qualité et l’originalité ne font déjà aucun doute.
La pièce se jouera en février au Théâtre Jean-Claude Carrière de Montpellier, en avril à la Triennale de Milan, en août à la Ruhrtriennale et en octobre au Luxembourg.
Du 5 au 28 mars, au Théâtre de la Ville
Par Léa Briant
