BERNARD DIMEY PÈRE & FILLE, UNE INCROYABLE RENCONTRE

Tout le monde connait la chanson Syracuse interprétée par Henri Salvador et Yves Montand en 1963, mais combien connaissent Bernard Dimey son auteur, l’une des plus grande plumes de la chanson française ?

C’est ce grand parolier et poète, que Dominique Dimey sa fille met en lumière dans ce spectacle musical émouvant, tout en sincérité et en fragilité. Actuellement à l’affiche au théâtre Essaïon, « Bernard Dimey Père & Fille, une incroyable rencontre », est le récit bouleversant de l’incroyable rencontre à Montmartre presque par hasard, de ce père et de  sa fille qui ne se connaissaient pas.

Pourquoi avoir choisi de parler de vous et de votre père à travers ce spectacle ?

Dominique Dimey : Beaucoup d’enfants ont comme moi grandi sans connaître leur père, le destin m’a fait rencontrer ce père que je ne connaissais pas lorsque j’avais 20 ans. Et l’histoire de cette rencontre est particulière, incroyable et presque digne d’un roman, ou d’un spectacle… Ce qui est exceptionnel, c’est que ce père était un grand poète et un personnage hors normes, très connu à l’époque.  

Notre rencontre a été un choc terrible pour moi. Un événement qui bousculait toutes mes certitudes. Longtemps je lui en ai voulu…lorsqu’il est mort j’ai essayé de tout oublier de notre rencontre, j’ai mis longtemps à accepter mon histoire avec ce père si particulier, et j’ai eu besoin, sans doute pour me libérer vraiment de l’écrire, de la partager, mais surtout de lui dire que j’étais fière d’être sa fille et de rendre hommage au grand poète qu’il était. 

Comment s’est passé cette rencontre à Montmartre ?

J’avais 20 ans, j’étais une petite provinciale de Châteauroux venue à Paris pour devenir artiste. Je découvrais la capitale, ses cafés, ses théâtres, ses musées ! J’habitais à Montmartre, un petit studio rue Constance qui donne sur la rue Lepic. Je suivais des cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet. À l’époque je commençais à écrire des chansons, (Rires). Je faisais la manche avec ma guitare, et je croisais tous les jours les gens du quartier que je saluais, dont un gros bonhomme barbu que je prenais pour un peintre de la place du Tertre. Un jour, je vois son visage sur une colonne Morris, l’affiche annonçait Bernard Dimey en récital à la salle Pleyel. C’était intriguant !

Vous allez donc le voir ?

Oui, et tout ce qui va en découler est complètement irréel… J’ai été bouleversée pendant son récital à Pleyel ! Adolescente, je me gorgeais de poèmes d’Aragon, de Paul Éluard, de Jacques Prévert etc.,
Je n’avais jamais vu un poète vivant déclamer ses poèmes ! Après les dédicaces, il m’invite à aller « casser la graine » avec son équipe chez Michou. On parle, je lui raconte ma vie. On se revoit plusieurs fois au Lux Bar où il avait ses habitudes, et un jour il m’invite à dîner. Pendant cette soirée, il me pose des questions sur ma mère, sur Châteauroux, et là il finit par me dire : « C’est con, mais tu vois, je crois bien que je pourrais être ton père. » 

C’est un choc terrible, une déflagration, un tsunami ! J’appelle ma mère et je l’interroge, elle m’avoue que c’est la vérité, que Bernard Dimey est bien mon père…

Comment avez-vous fait un spectacle de cette histoire ?

Ça a été un long travailque j’ai fait avec Bruno Laurentmon metteur en scène. Il m’a enregistré racontant cette histoire et avec cette matière importante de texte parlé, nous avons ensuite construit la structure dramatique du récit et j’ai écrit ce texte que je dis et ai choisi ses poèmes et ses chansons parfois pas très connus, et j’aime particulièrement. Mon intention était de raconter cette histoire incroyable qui contenait sa propre dramaturgie, mais je voulais aussi partager et faire vivre la folie et l’intensité de ces moments que j’ai partagé avec Bernard.
Je voulais glisser mon histoire dans l’œuvre de Bernard Dimey, avec ses chansons et ses poèmes bouleversants qui parlent si joliment de l’âme humaine.  

Vous donnez beaucoup de sensibilité, d’émotion et d’authenticité à ce récit autobiographique, n’est-ce pas trop difficile ?

Je voulais que le public découvre et savoure l’écriture d’un poète hors du commun, je voulais être vraie et faire vivre fortement ces moments avec Bernard. Dans sa mise en scène Bruno Laurent s’est attaché à préserver la plus grande authenticité possible dans mon interprétation. Et il a cherché à obtenir un juste équilibre entre l’émotion que porte mon récit et une légèreté que je dois garder pour raconter cette histoire très autobiographique.

Le spectacle est conçu comme un récit où se jouent mes souvenirs… L’histoire se déroule un peu comme si, scène après scène, on tournait les pages du récit. La mise en scène s’appuie sur un joli travail de lumières que l’on doit à Stéphane Bacquet et aux très jolies transitions musicales de Charles Tois qui réussit de magnifiques enchainements mélodiques avec les chansons que j’interprète. Je me sens extrêmement aidée par cette mise en scène discrète et délicate pour tourner de manière apaisée les pages de cet épisode de ma vie parfois assez intime, et faire découvrir qui était mon père. 

Votre père a écrit : « Quand je serai mort, on dira du bien de moi » Que retenez-vous de lui ?

Il disait à Yvette Cathiard sa compagne, qu’à sa disparition, elle gagnerait beaucoup d’argent, que l’on s’arracherait ses poèmes… Aujourd’hui, nous essayons toutes les deux de faire rééditer ses textes, c’est difficile. C’était un visionnaire, il savait mieux que quiconque parler des petites gens en profondeur. Il souffrait beaucoup comme un Rimbaud ou un Verlaine, un mal-être l’accompagnait continuellement, il se détestait, il se trouvait trop gros, l’alcool était son refuge, et il fumait pas loin de trois paquets de Gauloises par jour. Mais il était capable de vous écrire des vers magnifiques en alexandrins sans ratures sur un coin de table ou sur le comptoir d’un bar avec une extrême rapidité, c’était fascinant.

Comment êtes-vous passée de Dominique Blanchard à Dominique Dimey ?

Il a beaucoup insisté pour que je porte son nom. C’était étrange, d’ailleurs. Je tournais au tout début de notre rencontre dans une fiction, Une fille en automne, sous le nom de Blanchard. Ensuite j’ai joué au théâtre de la Ville dans Au bonheur des dames de Zola, et je suis devenue pour la première fois Dominique Dimey. Il était très fier et fou de joie.

Avez-vous parlé avec lui de votre enfance sans père ?

Non on ne pouvait pas parler de ça. Il évitait toute conversation sur sa conduite. Il avait su par des correspondances avec ma mère qu’il avait un enfant, et il ne s’était jamais manifesté, il ne lui avait jamais répondu ! Je lui en voulais énormément de cet abandon, je ne le lui pardonnais pas.

Comment était-il avec vous dans l’intimité ?

Il était très pudique, bourru, je ne savais pas comment être avec lui, et lui était maladroit. Je lui faisais la bise presque en reculant, car il sentait le tabac et souvent l’alcool. Je sais qu’il parlait de moi avec fierté aux personnes qu’il fréquentait, il était fier, mais à moi il ne m’adressait que très rarement des compliments, il était très ironique, il tournait tout en dérision.

Quand je venais chez lui, nous restions toujours un peu distants, au début on ne se regardait pas.
Là où l’on se retrouvait totalement, c’était lorsqu’il me lisait ses poèmes et les auteurs qu’il aimait. Un jour pendant que je l’écoutais me lire Que ma joie demeure de Jean Giono, assis l’un à côté de l’autre, nous avions tous les deux les yeux remplis de larmes, c’est à dire qu’à cet instant nous partagions tout, nous vivions la même émotion.

Finalement, tel père telle fille. Vous lui ressemblez ?

Oui sans doute par certains aspects. Nous étions vraiment unis par les mots, la poésie, la chanson, la musique comme par exemple le Fado qu’il m’a fait découvrir. Nous avions une belle complicité artistique et intellectuelle et peut-être un certain humour en commun.

Quelle serait sa réaction en voyant votre spectacle ?

Je pense qu’il serait très touché, bien sûr. Il me ferait sans doute quelques critiques comme il en avait l’habitude…
Avant d’entrer en scène, j’attends dans le noir devant son portrait, je lui parle dans ma tête en lui disant : « Tu te rends compte tout ce que je fais pour toi, pour te faire connaître… J’espère que tu es heureux de voir ça. » 

Par Marc Bélouis

ACTUELLEMENT AU THÉÂTRE ESSAÏON
Tous les mardis et mercredis à 21H