FANTASIO – Louis Faÿ et Felix Foures

Une parole peut changer le cours d’une vie… Avec une mise en scène précise, cette magnifique pièce d’Alfred de Musset est brillamment interprétée par une troupe de comédiens qui allient drôlerie, subtilité sur fond de poésie. Interview croisée avec son metteur en scène Louis Faÿ et Félix Foures, qui joue le rôle de Fantasio.

INTERVIEW CROISÉE

Pouvez-vous nous raconter vos rencontres respectives avec le texte de Musset ?

Louis : Ma rencontre avec Musset s’est faite lors de ma première année au sein du Cours d’Art dramatique «Le Foyer». J’avais 17 ans quand j’ai rejoint la formation professionnelle, et je venais d’arrêter ma scolarité pour me consacrer uniquement à cet art.

Un matin, lors des cours, Félix (qui joue Fantasio) présenta une scène de Musset. Ce fut un véritable coup de foudre, tous les mots de Musset me sont parvenus et ont provoqué en moi un sentiment nouveau. Je me suis donc  empressé d’aller chercher cette pièce chez un bouquiniste et je l’ai dévorée le soir même. Il faut savoir qu‘à l’époque je ne lisais aucun livre ! Fantasio m’a ouvert la voie vers la découverte d’une multitude d’auteurs.

Félix : J’ai rencontré Musset au cours de théâtre Le Foyer. Je travaillais Le Chandelier, l’histoire d’un jeune homme qui n’arrive pas à mettre des mots sur son premier amour mais qui y parvient malgré lui. C’est ce qui me touche profondément dans les œuvres de Musset. J’ai retrouvé cette émotion dès la première lecture de Fantasio (écrit un peu plus tard dans sa jeunesse). Ma découverte de la poésie mélancolique de Musset s’est faite à l’âge où lui l’écrivait, comme si nous étions liés à plus d’un siècle d’intervalle.

Louis, quels ont été les choix de mise en scène pour, tout en respectant l’unité de temps, mettre en exergue ces deux destins croisés ?

Louis : Tout d’abord la pièce se déroule sur une journée complète, elle débute un soir et s’achève le soir suivant, les jeux de lumières permettant de comprendre tout cela.

Concernant ces deux destins croisés, le terme « hasard » revient souvent dans la pièce, c’est un hasard si Fantasio a pris la place du bouffon, c’est un hasard si il s’est retrouvé face au destin d’une princesse épousant un prince afin d’assurer la paix entre le Royaume de Mantoue et de Munich. J’ai donc souhaité tinter subtilement par des symboles et postures leurs statuts respectifs.

Le choix de mise en scène a été donc de respecter au mieux les mots de Musset et ce qu’ils voulaient transmettre. Pour se faire, j’ai souhaité un décor épuré, des lumières simples et des musiques composées par Arnaud Martin-Rambaud, accompagnant les personnages dans leurs parcours respectifs et permettant aux spectateurs d’avoir une boussole tout au long de la pièce.

J’ai également souhaité offrir une grande liberté de proposition  aux comédiens. En effet, cette liberté est selon moi essentielle dans un processus de création. Cela s’est donc aussi construit de manière collective.

Félix, quels sont vos points communs avec le personnage de Fantasio ?

Félix : Je me sens relié à Fantasio par son caractère  désabusé dû à une routine morose, que j’ai moi-même éprouvé à « traîner » aux mêmes endroits mainte et mainte fois dans ma jeunesse, à côtoyer les même personnes, les mêmes rues, sans réussir à m’élever culturellement, socialement …

Ce personnage, contrairement à ce que j’étais, est dans une perpétuelle quête de nouveauté et refuse l’inertie. Lorsque que je joue les mots de Musset, je ressens chez Fantasio un engouement puissant pour son envie et surtout son besoin de découvrir (un lieu, un métier, un être) qui m’est extrêmement familier.

En quoi ce texte publié en 1833 raisonne-il encore aujourd’hui ?

Louis : Tout le monde peut se comparer à Fantasio, un héros désabusé en quête de renouveau.  Les sentiments et les émotions, selon moi, ne s’intègrent pas dans une temporalité.

Félix : En évoquant un mal du siècle, ce texte se rapproche de la situation que nous avons vécue avec l’éloignement de notre entourage, lié à la crise sanitaire.

La résonance entre la jeunesse d’aujourd’hui et celle d’hier est surprenante. Il y a une incompréhension intemporelle de sa condition dans la société qui est de toute façon propre aux jeunes générations du monde entier.

Par quelles émotions vont passer les spectateurs venant voir votre pièce ?

Louis : J’aimerai que les spectateurs se laissent embarquer par la poésie de Musset, et qu’ils entendent le texte. Pendant cet instant ils vont être témoins d’une charmante histoire, étant donné que la fin de la pièce se termine en suspens, cela laisse le choix aux spectateurs de se faire leur propre fin et de pouvoir en discuter entre eux.

Félix : Je pense que les spectateurs vont passer par des émotions qui leurs seront très personnelles car ils ne pourront pas s’identifier aux situations de la princesse ou du roi mais se sentiront plutôt concernés par l’état de ces personnages.

Le public viendra écouter une histoire ; je l’espère, rire, s’étonner et être touché par la détresse légère ou profonde de ces entités.

Le théâtre est-il pour vous une passion ou une thérapie ?

Louis : Le théâtre est une passion. Car c’est fait avec le cœur et tous les comédiens du projet font ce métier également par passion.

Concernant la notion thérapeutique, je dirais je m’épanoui tellement dans ce que je fais, et que j’ai la chance d’en faire un quotidien, que je ne viens pas par ce biais traiter quelque névrose que ce soit. Cependant, je n’exclus pas les potentiels effets thérapeutiques pour le spectateur. En effet, j’ai reçu le témoignage de l’un d’entre eux à la sortie, qui m’informait de ses questionnements et de son introspection suite au spectacle.

Félix : Le théâtre est une passion pour moi. Un moyen de m’exprimer et de me connaître davantage : ce qui peut finalement s’apparenter à une sorte de thérapie.

Cet art est avant tout un moyen d’échanger et de se connecter avec les autres. (Les partenaires et le public)

Le mot passion qui vient du latin « passio » et qui signifie souffrance, définit un arrêt du mental pour laisser place à l’amour. L’amour est ma raison de faire du théâtre.

Par Élodie Rabaud

A partir du 10 février 2022 les Jeudis à 19h30 au Théâtre Montmartre Galabru