GAËLLE BILLAUT-DANNO
Plongée dans le silence d’une famille
Adaptée récemment par Xavier Dolan en série pour Canal +, la pièce « La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé » de Michel Marc Bouchard est à l’affiche à Paris pour la première fois. Rencontre avec l’une des actrices principales qui incarne le personnage complexe de Mireille, un rôle puissant dans cette fresque familiale où les secrets inavouables refont surface.
Pourriez-vous présenter La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé à nos lecteurs ?
Récemment adaptée par Xavier Dolan en série pour Canal+, la pièce de Michel Marc Bouchard est enfin présentée sur scène à Paris. Il s’agit d’un huis clos à la fois drôle et cruel où une famille, rongée par le silence, doit affronter l’inavouable. À la mort de leur mère, les rancœurs refont surface, les langues se délient, la fratrie s’émeut et le secret étouffé depuis tant d’années finit par éclater ébranlant toute la famille. Sur scène, six personnages aux personnalités marquées : trois frères (David Macquart, Julien Personnaz, Benjamin Penamaria), la sœur Mireille que j’incarne, la belle-sœur (Marie Montoya) et une jeune thanatopractrice (Margaux Van den Plas). La mise en scène subtile de Didier Brengarth, la musique, les lumières, tout concourt à créer une atmosphère pleine de mystère et de suspense.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette pièce ?
J’ai découvert ce texte lors d’une lecture-rencontre avec Michel Marc Bouchard qui était à Paris pour présenter cette nouvelle pièce fin 2021. Dès les premières lignes qu’il a lues, j’ai été saisie. Le monologue de Mireille m’a particulièrement bouleversée. J’ai ressenti un véritable appel, presque mystique. Il était évident que je devais monter cette pièce et jouer Mireille. Je n’ai pas hésité une seconde et j’ai immédiatement parlé de ce projet à Didier Brengarth, notre merveilleux metteur en scène et on s’est mis au travail.
Pouvez-vous nous parler de votre personnage, Mireille ?
Que je l’aime, cette Mireille ! Enfant, elle ne dormait pas et s’introduisait dans les maisons voisines pour observer les gens. Très attachée à ses trois frères, surtout l’aîné Julien, elle tombe en secret amoureuse de Laurier Gaudreault, leur voisin. Elle avait 12 ans, l’âge des premiers émois… Mais une nuit tout bascule… la forçant à fuir. Elle devient alors thanatopractrice, voyageant à travers le monde pour embaumer des personnalités. Derrière sa carapace, elle reste une femme brisée, cherchant désespérément la rédemption. Mais son retour dans sa ville natale fera éclater toutes les blessures enfouies.
Quel moment ou réplique vous a le plus marquée ?
Il y a tellement de moments forts dans cette pièce. Des moments très drôles aussi. Pour la promotion, on nous a demandé de choisir une phrase représentative de notre personnage. Pour Mireille, c’est : « J’avais envie de la voir dans une robe d’éternité », une réplique où elle demande pardon à sa
mère en la magnifiant.
Quelle empreinte cette œuvre a-t-elle laissé sur vous, et qu’aimeriez-vous
qu’elle laisse sur les spectateurs ?
C’est encore tôt pour en parler, mais cette pièce me touche profondément. Elle évoque les secrets de famille, les non-dits, les dégâts collatéraux, et l’importance de parler avant qu’il ne soit trop tard. Malgré la gravité du sujet, les spectateurs rient beaucoup. C’est un équilibre salvateur.
Auriez-vous une anecdote marquante à partager ?
C’est plus qu’une anecdote, c’est intime. Le 9 novembre 2021, ma mère Jacqueline Danno était en train de s’éteindre petit à petit. C’était très dur. Un ami voulant me changer les idées me convie à une rencontre avec Michel Marc Bouchard. Lorsqu’il a lu les premiers mots de la pièce, j’ai été immédiatement touchée. Trois semaines après cette rencontre, ma mère partait rejoindre les étoiles. Je suis sure que de là où elle est, elle veille et je joue pour elle chaque soir.
Travaillez-vous actuellement sur d’autres projets ?
Oui. J’ai un très beau projet pour le Festival d’Avignon 2025, Survivre à Picasso, une pièce sur l’inspirante Dora Maar écrite par Nadège Perrier et mise en scène par Guila Braoudé. Là encore ça va être intense ! J’ai beaucoup de chance. Et puis j’aime l’idée que notre métier puisse toujours nous réserver de belles surprises si on laisse un peu d’espace pour qu’elles arrivent…
Jusqu’au 21 décembre, au Théâtre Tristan Bernard