GRÉGOIRE ROQUEPLO ET ALEXIS CHEVALIER

Ceci n’est pas une saucisse

« Ceci n’est pas une saucisse » emporte les public dans une joyeuse aventure théâtrale, hors des sentiers battus et hors du temps. Sur scène, le rire et l’émotion s’entremêlent, le rêve et la réalité s’imbriquent. Alexis Chevalier et Grégoire Roqueplo, alias Guigue et Plo, nous dévoilent les dessous de cette enivrante création artistique.

Comment votre duo s’est-il formé ?

Alexis Chevalier : On s’est rencontrés en cours de théâtre, il y a plus de 10 ans. En travaillant ensemble les grandes scènes du répertoire classique, on a vite pris conscience de notre complémentarité. Un rapport clown blanc et clown auguste s’est spontanément mis en place entre nous. On éprouvait énormément de plaisir à jouer tous les deux, on avait une sensibilité et des intérêts communs, on est finalement devenus inséparables.

Quelles sont les personnalités qui vous inspirent ?

Grégoire Roqueplo : Jean Poiret et Michel Serrault constituent un duo légendaire qui nous a toujours fascinés ! Nous avions d’ailleurs pour projet de reprendre les sketchs de cabarets qu’ils présentaient à leurs débuts. Jusqu’au jour où, totalement par hasard, on a croisé Antoine Duléry qui nous a conseillé d’écrire plutôt nos propres textes.

AC : Nous sommes inspirés par les artistes qui vont jusqu’au bout de leur proposition, qui assument leur univers. C’est cette liberté absolue de ton et d’esprit qui nous plaît. Chez les contemporains, je citerais sans hésiter Monsieur Fraize. Parmi les références plus anciennes, nous raffolons du duo mythique formé par Bourvil et Louis de Funès.

Racontez-nous la genèse de « Ceci n’est pas une saucisse »…

GR : C’est le confinement qui a fait naître le désir de créer ce nouveau spectacle. Contraints d’arrêter de jouer des mois entiers, nous nous sommes interrogés sur l’essentialité de notre fonction, sur notre utilité en tant que comédiens. Nous avons donc travaillé autour de ce questionnement : étions-nous si importants que ça au sein de la société ? Ainsi est venue l’idée de mettre en scène un directeur de théâtre qui veut transformer sa salle en un lieu concrètement essentiel : une chambre froide pour boucherie.

Présentez-nous vos personnages…

AC : Guigue est ce directeur de théâtre complètement désabusé, il ne croit plus au spectacle vivant. Il donne l’impression de tout maîtriser, d’avoir des idées bien arrêtées. Mais c’est un faux rationnel en vérité, il a même des visions qui sont l’expression de ses troubles intérieurs.

GR : Le personnage de Plo est un comédien désoeuvré, qui ne travaille pas et qui n’a plus nulle part où aller. Son imagination est fourmillante, il est plongé dans sa rêverie, hanté par une spirale des songes étranges et mystérieux. Cet imaginaire florissant va peur à peu réenchanter Plo, lui redonner vie, et ainsi, symboliquement, faire renaître le théâtre.

AC : Les protagonistes ont chacun une logique très différente, et pourtant Guigue a besoin de Plo, de cette gratuité, de ce caractère simple, pour se reconnecter à ce qui l’anime profondément. On a tendance à s’identifier à Plo, qui est le clown auguste, plus attachant, plus sympathique. Pourtant ils représentent ces deux moitiés indissociables d’une même orange, ils ne peuvent exister l’un sans l’autre. On porte tous en nous ce besoin de fantaisie et de rationalité pour avancer.

« Ceci n’est pas une saucisse » fait vivre un moment de théâtre surréaliste…

GR : La référence à Magritte dans le titre est très assumée, nous ne proposons pas un spectacle d’humour au sens classique du terme. Nous aimons que le spectateur se sente un peu déboussolé, qu’il perde pied. À partir d’une situation donnée, plusieurs portes vont s’ouvrir. Le surréalisme n’est pas un prétexte pour jouer avec la réalité et faire des blagues. Il offre la possibilité de contempler nos existences, et d’y relever ce qui n’est ni logique, ni raisonnable.

AC : Le rire peut venir toucher à quelque chose d’enfoui, atteindre la quintessence de notre être. La naissance de ce spectacle coïncide d’ailleurs avec le moment où j’ai commencé une psychanalyse. Sur scène se dévoilent des thèmes qui résonnent en nous, et le rire nous permet de les mettre à distance. C’est bien la preuve que le ressort comique n’est pas uniquement basé sur l’accessoire, sa finalité n’est pas seulement d’amuser et de distraire. Dans la tradition française, Molière en est l’exemple parfait. Ses comédies sont de purs divertissements, et pourtant, le dramaturge y dénonce des problèmes sociaux et suscite la réflexion sur des sujets importants qui lui tiennent particulièrement à coeur.

Avec votre compagnie Le saut du tremplin, vous présentez également une pièce intitulée « Tiquetonne », pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

GR : c’est un spectacle écrit par Marguerite Kloeckner, que nous jouons également au théâtre Les Déchargeurs, à Paris, jusqu’au 18 juin. « Tiquetonne » est une créature fantasque et sans âge, coincée quelque part entre la petite enfance et la grande vieillesse. C’est un personnage fantasmagorique et surréaliste, il y a bien sûr des ponts entre cette création et « Ceci n’est pas une saucisse ».

AC : C’est une pièce tout en délicatesse, qui s’adresse à l’enfant qui sommeille en nous, qui ne s’éteint jamais vraiment, et ce que l’on finit toujours par réveiller à l’âge adulte.

Par Marie-Lys de Cerval

Le 3 mai, au Théâtre Les Déchargeurs,

Du 7 au 29 juillet, à la Salle Pixel Bayaf, à Avignon.