LA GRANDE MUSIQUE

Une symphonie familiale qui résonne à travers les âges.

Cédric Vasnier © Prismo Production

Après un triomphe retentissant au Festival Off Avignon 2021 et 2022, « La Grande Musique », écrite par Stéphane Guérin et mise en scène par Salomé Villiers, arrive au Théâtre Comédie Bastille pour 100 représentations exceptionnelles. 

Une épopée transgénérationnelle

Rendre visible et concrète la nature des liens familiaux ; avec les conflits et les nœuds qui traversent son histoire, les manques, les répétitions qui deviennent repérables, et révéler ce qu’on pourrait croire être les « effets du destin » d’une famille. C’est ce que l’auteur Stéphane Guérin met en lumière dans La Grande Musique. Sur une mise en scène de Salomé Villiers, les deux artistes jouent de concert pour recomposer cette symphonie familiale si particulière. Une œuvre qui retrace l’histoire sur quatre générations d’une lignée qui se croit maudite. Celle de six personnages, tous amputés d’une partie de leur propre histoire et pourtant tous reliés les uns aux autres sans le savoir. Et si les tragédies du passé avaient une puissante résonance sur la descendance ?

La psychogénéalogie comme ressort pour exhumer les mémoires secrètes

Entre le présent et le passé, entre l’Autriche et la France, Marcel, Nelly, Georges, Esther, Pierre et Hervé tentent de réunir les pièces éparses d’un même puzzle. L’histoire commence en 1943, lorsque Marcel Vasseur (Adrien Melin / Brice Hillairet), un jeune musicien juif, est déporté dans le camp nazi de Mauthausen avant d’y périr. Celui-ci apparaît à diverses reprises dans la pièce recouvrant plusieurs lieux et époques. Tel un fantôme, il vient hanter cette fresque familiale dont il est la tragédie fondatrice. Pourtant la seule à le voir et à l’entendre est Esther (Hélène Degy), une jeune femme qui souffre d’un mal profond dont elle ne connait pas la cause. Bientôt, cette douleur innommable, la rongera physiquement. Du jour au lendemain, ses jambes cesseront de la porter. Quelle est donc cette souffrance qui la tourmente ? Quel est ce poids dont elle n’est plus capable de porter le fardeau ? Elle le sait, pour découvrir le secret qui la consume, elle doit exhumer les fantômes du passé, arracher du silence les mots de sa mère Nelly (Raphaëlle Cambray / Florence Muller / Raphaëline Goupilleau), cueillir les colères enfouies dans les regards fuyants de Georges, son père (Jérôme Anger / Bernard Malaka). C’est ainsi que débute l’enquête d’Esther, un récit initiatique, un voyage dans le temps dont chaque personnage est le rouage de cette machine infernale. 

« Imaginez une partition sur laquelle un compositeur aurait porté des notes affolées, une partition qu’aucun musicien, aucun chef d’orchestre ne pourrait lire mais qu’il faudrait pourtant déchiffrer pour atteindre les notes cachées derrière celle-ci. Une partition en forme de palimpseste. » explique Stéphane Guérin.

Une partition familiale

Telle une sculptrice taillant dans le marbre, la metteuse en scène Salomé Villiers dégage la matière superficielle du bloc et choisit une mise en scène épurée pour laisser place aux récits et aux personnages. C’est aussi ce même travail qu’entreprend Esther qui, au fur et à mesure qu’elle entre dans la profondeur de son héritage familial, dégage la forme réelle des secrets qu’il recèle. Cette progression graduelle est rythmée par des dialogues incisifs et une musique présente tout au long de la pièce. « Enfin, la musique tient ici une place de choix puisque la même mélodie parcourt les époques, comme un frisson sur une colonne vertébrale. D’abord souffrant de scoliose, pour enfin redevenir droite comme une portée. » nous précise l’auteur, Stéphane Guérin.

« LA MUSIQUE TIENT ICI UNE PLACE DE CHOIX PUISQUE LA MÊME MÉLODIE PARCOURT LES ÉPOQUES, COMME UN FRISSON SUR UNE COLONNE VERTÉBRALE »

Stéphane Guérin.

Ces cassures et ces rythmes savamment orchestrés tiennent le spectateur en haleine, aux aguets jusqu’à ce que les époques s’entremêlent pour révéler les trésors cachés et libérer les personnages de cette famille qui se croyait maudite. Il n’y a pas de fatalité. Il ne tient qu’à nous d’exhumer et de faire parvenir à la lumière les trésors de notre passé en enlevant la gangue qui les dissimule. Stéphane Guérin nous offre un texte délicat, empreint de poésie et porté par des comédiens prodigieux. Plus qu’un spectacle, c’est un voyage dans le temps, un vertige d’émotions faisant résonner une mélodie particulière en chacun d’entre nous. 

Par Zoé Dupey.

Actuellement à la Comédie Bastille.