LE THEATRE DES DEUX ÂNES
Toujours aussi désobéissant
Le Théâtre des Deux Ânes change de mains ! Mais la transition se fait en douceur, de Jacques à Régis Mailhot. Ces deux écrivains à la plume acérée et à l’humour fin nous présente leurs revues pour la saison, et nous donnent un aperçu du vent de nouveauté qui va animer le théâtre pour les années à venir.
Vous êtes à la direction du légendaire Théâtre des Deux Ânes qui perpétue la tradition montmartroise des cabarets de chansonniers depuis 1910 et qui se définit comme un « théâtre désobéissant ». Que doit-on s’attendre à trouver dans un « théâtre désobéissant » ?
Jacques : Des choses désobéissantes ! Une impertinence, une liberté de ton, une liberté d’expression… Être désobéissant, c’est ne pas être un suiveur, c’est incarner le contraire de la bien-pensance.
Régis : La désobéissance, aujourd’hui, c’est presque un gage de résistance, bien que la “désobéissance” ramène à l’enfance. C’est aller contre l’esprit de sérieux, l’esprit bourgeois de l’époque. Désobéir, c’est la fonction même du rire. Comme disait le sociétaire du théâtre, Pierre Dac, “C’est être pour ce qui est contre et contre ce qui est pour”.
Tout en veillant à conserver son ADN vous ouvrez depuis peu la ligne éditoriale du théâtre à d’autres propositions artistiques. Qu’est-ce qui a motivé cette envie ?
Jacques : On a entamé ce mouvement depuis quelques mois car le monde du théâtre évolue, tout autant que notre profession de satiriste politique connaît un manque de renouvellement. Il n’y a plus beaucoup d’humoristes chansonniers, il faut donc suivre l’évolution globale du milieu, la propension actuelle pour les seuls en scène et le stand up. Sans perdre l’essence des Deux Ânes, il est intéressant de s’ouvrir à ces nouvelles propositions.
Régis : S’ouvrir, c’est vivre avec son époque, et c’est ce qu’a toujours fait notre Théâtre. Il a sorti les chansonniers de la rue pour leur donner une scène, avec un accueil typique de la représentation théâtrale noble. À présent, notre volonté est d’accompagner les nombreuses propositions artistiques, que l’on trouve en particulier sur les réseaux sociaux. Ils sont très riches en nouveauté, en talent, en création. On a vocation à accueillir ces nouvelles formes y compris de nouvelles formes théâtrales. On accueille cette année, par exemple, un biopic sur Churchill très incisif, un duo d’imitateur génial, qui a été un véritable coup de coeur… C’est un théâtre en plein coeur de Pigalle, qui s’y prête complètement !
Avec quelles idées, quels sentiments, quelles convictions peut-être souhaitez-vous que le public ressorte de votre théâtre ?
Jacques : On espère que le public ressorte avec, ce que l’on appelle un peu trivialement, la banane ! Qu’il ait passé un moment agréable à rire, à décompresser, à se sortir de cette pression permanente de l’information en continu. Les Deux Ânes, c’est un SAS de décompression de la vie quotidienne.
Régis : Exactement, c’est un oasis en plein milieu de Paris. La démarche d’aller dans un théâtre est à la fois culturelle et thérapeutique ; elle permet de remplacer le “vivre ensemble” par le “rire ensemble”, une promesse vérifiable dès les premières minutes du spectacle.
Le Théâtre des Deux Ânes est notamment une référence en matière de satire politique. Avez-vous perçu, au fil du temps, une évolution dans la manière d’aborder la politique sur scène et/ou dans la manière dont le public reçoit ces propositions ?
Jacques : L’évolution est colossale. Avant, les humoristes politiques travaillaient avec des textes plutôt écrits et ciselés, tandis qu’aujourd’hui on est plutôt sur la vanne rapide, l’invective. L’humour a évolué avec la classe politique : on observe par exemple une différence fondamentale entre le Premier Ministre et son gouvernement, qui sont le plus souvent de deux générations différentes. Il n’y a pas véritablement de politique commune, ni d’entente ou de cohésion. La démocratie, ce n’est pas l’insulte ; c’est le dialogue, c’est la compréhension, c’est le respect de l’autre. Aux Deux Ânes, on veut pratiquer un humour un peu plus fin, un peu plus de qualité, sans tomber dans la grossièreté, la vulgarité ni la trivialité.
Régis : La caricature politique a toujours existé, c’est une tradition bien française. Le fait qu’elle demeure est un gage de liberté et de démocratie absolu. La satire, c’est le pluralisme du rire. C’est savoir manier l’ironie autant que l’universalisme, dans ce pays où la liberté d’expression est un droit garanti. On caricature aujourd’hui autant la classe politique que la classe médiatique, qui à elles deux représentent notre époque.
Jacques Mailhot, on vous retrouve en cette rentrée dans Macron, l’intelligent artificiel pour lequel l’inspiration n’a pas dû manquer ! Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce spectacle ?
On va surtout parler du personnage central, Emmanuel Macron, qui nous a menés vers une situation politique que l’on n’avait pas connue depuis cinquante ans. Il y a quelques années, Louis Pauwells avait écrit Le Matin des Magiciens ; j’ai l’impression qu’avec Macron, nous sommes plutôt au crépuscule des magiciens. Il a essayé de faire deux tours de prestidigitation politique, totalement ratés. L’Assemblée est à présent introuvable, comme on le disait à l’époque, et ingouvernable car elle n’a plus de véritable majorité, ce qui est contraire au fondement de la Ve République. Nous sommes dans une situation de IVe République, de foire d’empoigne. Lui qui semblait si intelligent au départ est finalement peut-être victime d’une intelligence artificielle qui le manipule. En Marche est de plus en plus à l’arrêt, car il semble leur manquer une certaine conviction politique.
Régis Mailhot, vous êtes à l’affiche d’un seul en scène qui a conquis le public lors des deux précédentes éditions du festival d’Avignon : Les nouveaux ridicules. Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir avec ce spectacle ?
J’aime beaucoup son effet thérapeutique ! C’est un spectacle qui soigne, qui déclenche du rire par son irrévérence : c’est ça, le vrai plaisir ! C’est inclusif, dans le sens où tout le monde y passe, tous les paradoxes, toutes les contradictions : les religieux sans foi, les écolos sous blister, les têtes de gondole de la bien-pensance. Il y en a pour tout le monde, mais le tout avec beaucoup de second degré. Dans un monde où on nous explique quoi faire, quoi penser, quoi manger, en rire, comme me le disait un spectateur, “ça fait du bien”.
Régis Mailhot on vous retrouve également dans une toute nouvelle revue que vous emmenez aux côtés de Karine Dubernet et qui s’annonce comme « le rendez-vous chic et clash de la rentrée » : Costard Club. Que et qui va-t-on y retrouver ?
C’est la quintessence du Théâtre des Deux Ânes : désobéir ensemble. Une troupe des meilleurs tailleurs de costard de l’actualité, des chroniqueurs radio majoritairement, se réunissent pour faire un grand spectacle où se mélangent chanson, parodie, sketchs, duos, trios et invités surprises pour croquer chaque semaine le grand cirque médiatique et politique qu’on nous vend, qu’on nous impose. L’irrévérence, mais en tenue de soirée.
Plus d’informations sur le site du Théâtre des Deux Ânes