Le voyage de Monsieur Perrichon

Par Aurore Jesset

Le voyage de Monsieur Perrichon d’Eugène Labiche Mise en scène Frédérique Lazarini Compagnie Les Athévains Jusqu’au 26 Juillet Théâtre du Chêne noir Festival d’Avignon à 10h Relâche mardi

Le voyage de Monsieur Perrichon d’Eugène Labiche (1860) revisité par Frédérique Lazarini pétille d’intelligence et d’amusement d’un bout à l’autre de la pièce.

Frédérique Lazarini explore à merveille les grands classiques en les situant dans notre temps avec une touche remarquable de modernité. Son grand talent joue délicieusement avec les temporalités, les espaces et les codes du théâtre.

Photo©Marion Duhamel

Après La mégère apprivoisée de Shakespeare qui a conquis le public du Festival d’Avignon 2024, Le voyage de Monsieur Perrichon rencontre également cette année un plein succès, avec des salles combles depuis le début du festival.

Les comédiens portés par la mise en scène relevée, drôlement inventive de Frédérique Lazarini et par la plume lumineuse de Labiche sur la vanité et l’ingratitude des hommes sont superbes dans leur rôle respectif.

L’énergie et la vitalité des personnages interprétés avec brio par une distribution formidable dont Emmanuelle Galabru et Cédric Colas pour le couple Perrichon se déploient dans un bain de tendresse et d’humour que l’on reconnait à Frédérique Lazarini.

La scénographie de François Cabanat, les images vidéo d’Hugo Givort, les costumes de Dominique Bourde, les compositions musicales de François Peyrony, les lumières de Xavier Lazarini conjuguent les talents pour une immersion haute en couleurs.

Photo©Marion Duhamel

Un vent de fraîcheur et de modernité depuis les hauteurs de Chamonix réveille cette référence majeure du répertoire. Frédérique Lazarini mène l’aventure avec une habilité et une expertise artistiques incontestées.

Un art du dépoussiérage nécessaire pour assurer la mémoire et la transmission des œuvres piliers de notre culture.

Un rafraichissement ouvert sur de multiples références artistiques à la manière de Frédérique Lazarini. Ainsi, ses mises en scène font toujours voyager son public.

Ici, l’héritage de Charlie Chaplin et du burlesque américain saupoudré de clins d’oeil à Tati et à Cocteau fait résonner joyeusement le caractère comique de la pièce. Le public rit. Il a aussi sauté dans le train !

Dramaturge de haute volée du vaudeville au XIXème siècle, Eugène Labiche se plait à scruter le bourgeois de l’époque, à la fois le personnage de ses satires sociales et son public. Il a imaginé Le voyage de Monsieur Perrichon dans un contexte sociétale et économique où la recherche du mouvement se trouvait au centre du progrès scientifique dans de nombreux domaines : photographie, cinéma, transports ferroviaires, automobile.

C’est aussi un temps fort de la révolution industrielle avec le développement du temps libre et des loisirs.

Le décryptage de Frédérique Lazarini transpose avec efficacité et fantaisie ce contexte du milieu du XIXè siècle par son art aiguisé de la mise en scène et des talents dont elle sait si bien s’entourer. Les tableaux sur scène s’animent dans une mécanique du geste, du déplacement, des lumières, des projections, des chorégraphies, des couleurs contrastées.

Les rythmes se répondent sans relâche dans la richesse visuelle et des réparties verbales. Les quiproquos virevoltent allègrement. Ça bouge fort. Le voyage est à l’honneur.

De retour à Paris, il se produit l’inattendu. Le voyage impulse un changement dans le foyer des Perrichon. Un nouveau regard sur les événements comme une issue optimiste de la satire par le cheminement et la transformation intérieure de Monsieur Perrichon.

Le mouvement opère donc également au-delà du visible, au plus près de l’intime. La subtilité n’échappe pas à Frédérique Lazarini dont la force créative et l’acuité artistique se nourrissent de ce qu’elle ne cesse d’interroger pour aller toujours au plus près de la vérité de l’œuvre et de son public.

Le fruit sur scène en est génialement juteux mettant à l’honneur le registre de la comédie classique par le divertissement sincère d’une profonde humanité.