LES TÉMÉRAIRES

Rencontre avec Stéphane Dauch, Romain Lagarde et Sandrine Seubille

« Les Téméraires » nous plonge dans une France déchirée par l’Affaire Dreyfus, un procès qui a laissé sa marque dans l’Histoire du pays. Les médias s’emparent de l’histoire, des artistes s’en inspirent pour éveiller les consciences, révolutionner l’art ; en bref, faire avancer le monde. C’est une troupe de sept comédiens, énergiques et brillants, qui donne vie à ce récit.

Vous interprétez trois personnages historiques, en plein coeur de la tourmente. Est-ce que ça a été un défi de se glisser dans cette époque et dans leur peau ? 

 Romain Lagarde : Je ne sais pas si l’on peut réellement parler de défi, mais c’est une extraordinaire chance que d’incarner la parole d’êtres aussi exceptionnels qui, au péril de leur vie, se sont battus contre la bêtise et l’obscurantisme. Ils m’étonnent et je les admire un peu plus chaque soir ! C’est merveilleux ! 

Sandrine Seubille : Je dirais plutôt un bonheur immense, car ce n’est pas tous les jours qu’on a cette chance de jouer des Téméraires, ces personnages sont des héros, ils nous élèvent. Chaque soir nous vivons le courage et l’extraordinaire. Chaque soir, nous jouons cette pièce en entendant la résonance que cette histoire a avec notre monde actuel. 

Stéphane Dauch : Pour ma part, il n’y a pas de réelle différence entre incarner un personnage historique et un personnage de fiction, c’est le même processus de création. L’avantage cependant, avec une personne qui existe ou ayant existé, c’est que l’on a encore plus d’informations sur son caractère, son parcours et sa verve. 

Humaniser un personnage emblématique de la littérature française tel qu’Emile Zola est un exercice particulièrement difficile. Comment vous y êtes-vous pris, Romain Lagarde, pour représenter la nature très passionnée de cet écrivain ? 

 RL : Ce qui est formidable avec les personnages emblématiques de l’Histoire, c’est qu’ils laissent derrière eux pléthore de documents et Zola tout particulièrement ! Il a laissé à la postérité, en plus de son oeuvre, sa correspondance avec Alexandrine, son épouse, et Jeanne, sa maîtresse et la mère de ses enfants, mais aussi énormément de documents photographiques, étant lui même un grand passionné. C’est une source intarissable et inestimable d’inspiration dans laquelle je me suis plongé ! Mais surtout, c’est grâce à la volonté et la direction de Charlotte Matzneff qui tenait à dépeindre des personnages au plus proche de leur humanité, avec leurs parts d’ombre et de lumière ! Ce qui rend leur combat si passionné encore plus juste et plus beau ! Non ? 

Tout au long de la pièce, Zola forme un duo tantôt solide, tantôt fragile avec son épouse Alexandrine, qui pourrait presque être sa manager. Sandrine Seubille, est-ce qu’il vous semblait important de porter la voix de cette femme, et comment la décririez-vous ? 

SS : Porter la voix de cette femme aujourd’hui était plus qu’important, c’était nécessaire. Charlotte m’a fait un cadeau immense en me proposant de jouer ce rôle magnifique. Alexandrine est une héroïne, un exemple de force, de courage, de dignité, de grandeur d’âme. Elle vient des bas-fonds et a un pouvoir de résilience incroyable : certes, elle est le moteur de Zola, à eux deux ils ne sont qu’un. Elle sera à ses côtés sans relâche, il est l’homme de sa vie mais elle va aussi s‘engager, à l’annonce de la double vie amoureuse d’Émile, dans cette nouvelle aventure. Par amour, elle va pardonner, accepter Jeanne, les enfants et même, après la mort de Zola, elle continuera d’être à leurs côtés coûte que coûte. « Je prendrai soin des tiens » dit-elle. Elle est à la fois forte et fragile, matrone et moderne. C’est une femme libre et anticonformiste. Lorsque ma fille de 13 ans est venue voir la pièce et a découvert cette histoire, c’était pour moi un moment unique ! 

Le pendant de ces deux personnages très ancrés est un George Méliès particulièrement aérien, dynamique, plein d’idées… Stéphane Dauch, comment faites-vous pour canaliser et transmettre cette énergie débordante ? 

SD : J’avoue que je me suis inspiré d’une photo de Méliès qui m’a particulièrement touché. Il est déjà assez âgé, mais son regard a une vraie malice, on dirait qu’il y a encore dans son oeil tant de fantaisie et un monde plein de paillettes. Et comme notre métier est une vraie cour de récréation, il n’y a qu’à laisser l’enfant qui est en nous explorer tous ces mondes. Quant à l’énergie virevoltante qui est la mienne, la metteuse en scène est fort heureusement là pour la canaliser. 

On a donc deux histoires qui se répondent, avec plusieurs clins d’oeils anachroniques. Est-ce une manière d’amener tout cela dans notre monde contemporain ? 

RL : La pièce reste assez fidèle à l’Histoire ; bien-sûr, certaines situations ont été inventées pour le bien de la fiction et si nous avons glissé un ou deux anachronismes que je ne dévoilerais pas, sinon ce n’est plus drôle, cela reste surtout des clins d’oeil. Nous faisons avant tout du théâtre et si cela permet d’apporter de la modernité, alors tant mieux ! 

SS : Oui, c’est partir du fait historique pour porter une parole plus actuelle. Aujourd’hui, nous aurions bien besoin de Téméraires comme Émile Zola et Georges Méliès ! 

Sur scène, vous n’êtes que 7 comédiens mais jouez une trentaine de personnages… C’est sans doute une vraie gymnastique ? 

SS : Oui, nous avons énormément travaillé la logistique en coulisses. Ce qui se passe derrière est aussi important que ce qui se passe devant, au plateau. D’autant plus que le rythme de la pièce est enlevé, on sait que lorsque le rideau se lève, le train est en marche et ne s’arrête jamais. Cette énergie collective est jubilatoire. 

SD : Le travail en coulisses est quasiment aussi chorégraphié que celui sur scène. Les changements de costumes et de personnages sont très nombreux, en effet. Je compare souvent cela à une course de Formule 1, quand le bolide rentre au stand, se fait faire le plein et change ses quatre pneus en un temps record. Tout cela est répété et diablement chronométré. 

Vous avez pu présenter cette superbe pièce au Festival Off d’Avignon en 2023, avec beaucoup de succès ; vous êtes à présent à la Comédie Bastille, depuis septembre. Quels sont les retours de la part du public ? 

RL : C’est assez incroyable, le public est transporté et les retours sont magnifiques ! La pièce résonne fortement, aussi bien chez le jeune public (collégiens et lycéens) qui découvre cette histoire et prend fait et cause, que chez un public plus âgé qui ressort souvent ému, même s’il a aussi beaucoup ri. 

SD : C’est juste fantastique de susciter autant d’émotions. Le public est au rendez-vous, tantôt ému, souriant ou riant. L’accueil est tellement chaleureux et nous ramène à ce chemin nécessaire de transmettre cette histoire, notre Histoire. 

Quelques actualités pour cette nouvelle année 2024 ? 

RL : Déjà, défendre avec le plus grand bonheur, jusqu’en juin, Les Téméraires au Théâtre Comédie Bastille, puis en Avignon et en tournée, et une reprise du Petit coiffeur de Jean-Philippe Daguerre aux Gémeaux. 

SS : Une belle tournée s’annonce, et nous ne pouvions rêver meilleur avenir pour la pièce. 

SD : En plus de jouer Méliès, je jouerai Cyrano de Bergerac sous la direction de Jean-Philippe Daguerre, également à Avignon, et au Théâtre du Ranelagh à la rentrée. 

Actuellement au Théâtre Comédie Bastille

Par Léa Briant