PAS DE ÇA CHEZ MOI
Interview de Virginie Caloone et Bénédicte Bailby
Virginie Caloone est autrice, Bénédicte Bailby est metteuse en scène ; ensemble, elles ont créé et jouent cette nouvelle comédie qui nous met face à toutes nos contradictions. Grâce à un personnage de militante LGBT qui ne sait plus quoi penser lorsque le sujet la touche – à son goût de trop près – elles interrogent avec humour la notion de genre et d’identité…
Virginie Caloone et Bénédicte Bailby, vous êtes respectivement l’autrice et la metteuse en scène de la pièce Pas de ça chez moi ! Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette pièce dans laquelle, Virginie, vous tenez également un rôle ?
Virginie Caloone : Pas de ça chez moi ! est une pièce où les personnages disent tout haut ce qu’on pense tout bas ! On explore la complexité des changements sociaux que notre société traverse actuellement en abordant le thème de l’identité. En effet, nous assistons depuis quelques années à l’évolution des mouvements LGBT dans notre pays qui viennent « requestionner » la notion de genre et d’identité. À travers le personnage de Caroline, on plonge dans les contradictions d’une personne militante pour les droits LGBTQIA+ qui combat les discriminations, mais qui révèle un tout autre visage lorsque cela la touche de près. Pas de ça chez moi ! est avant tout une invitation à la réflexion sur notre propre ouverture d’esprit et notre capacité à faire preuve de tolérance, surtout lorsque cela remet en question nos croyances et valeurs, quelles qu’elles soient.
Bénédicte Bailby : C’est une pure comédie à l’écriture très fine et drôle sur un sujet très actuel : l’identité. Jusqu’où notre tolérance peut être mise à l’épreuve quand le sujet nous touche de près ? C’est une pièce qui parle d’identité, de tolérance, de préjugés, du regard des autres et de la manière dont on s’arrange parfois avec la réalité. Peut-on parler de pièce engagée ? Quels messages avez-vous envie de transmettre ?
VC : Ce n’est pas une pièce engagée politiquement ni militantiste, soyons clairs. C’est une pièce qui s’engage à parler avec humour de toutes les contradictions que nous pouvons avoir, de la confusion dans laquelle on peut se trouver face à des mentalités qui bousculent des modes de pensée bien établis. Le message que j’aimerais transmettre est celui-ci : arrêtons de nous mentir à nous-mêmes ! Être tolérant ce n’est pas si facile, ne pas avoir de préjugés est impossible et s’affranchir du regard des autres est un combat quotidien. On a tous nos limites dans notre tolérance aux choses, et ça fait juste de nous des humains parfaits dans leur imperfection.
BB : On peut parler d’une pièce qui, sans être revendicative, transmet un message traité avec beaucoup d’humour. On pourra se reconnaître selon son parcours dans l’un des trois protagonistes, avec notre sincérité et notre mauvaise foi aussi.
Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir aborder ces thématiques ? Vous êtes-vous inspirée d’une expérience personnelle ?*
VC : J’ai voulu aborder cette thématique car face à toutes les nouvelles dénominations de genre, d’identité sexuelle et d’orientation, j’ai été totalement perdue il faut le dire ! (rires) Ce que j’ai avant tout compris, à force d’observation, c’est qu’on se heurtait tous à la même chose, peu importe nos valeurs et nos convictions. On est tous limités dans notre compréhension de certaines idées, on pense tous savoir ce qui est bien ou mal, jusqu’à ce que cela vienne nous toucher personnellement et rebatte les cartes. On est parfois intolérants malgré nous. On a tous peur de l’inconnu, on a tous des préjugés, on a tous envie d’être quelqu’un de bien, mais hélas, nous ne sommes que de simples petits mortels ! (rires)
BB : La pièce m’a été proposée pour la mettre en scène par Christophe Segura, le directeur de la Comédie Bastille. Ayant déjà beaucoup ri à la lecture, j’ai rapidement accepté le défi. Je visualisais très bien ce que Virginie voulait nous faire passer.
Virginie, c’est la quatrième pièce que vous signez et qui semble venir confirmer que la comédie est votre genre de prédilection. Qu’est-ce qui vous y a amené et vous séduit particulièrement dans ce registre ?
VC : La comédie est pour moi le genre qui permet d’être le plus transgressif dans ses propos, sans qu’on vienne condamner les personnages ou que cela se transforme en une tribune moralisatrice. La comédie est l’outil parfait pour mettre une loupe sur les aspérités de l’être humain, sur ses limites, sur sa bêtise aussi. On peut en rire sans méchanceté ni agressivité. C’est aussi un fabuleux moyen de faire le portrait de toutes les personnes qui vont venir voir la pièce en leur disant « Avouez que vous aussi vous êtes parfois intolérant, radical et immoral ? Mais venez en rigoler ! ». Rire de soi est essentiel, ça nous permet de mieux nous ouvrir aux autres et à la différence. Il est vrai qu’en l’écrivant je me disais « Mon dieu mais que vont penser les gens ! » Il y a une volonté de choquer en avouant des choses qui ne se disent pas. Et parfois ce qu’on pense n’est pas joli joli ! (rires) D’ailleurs, je remercie Christophe Segura pour sa confiance et l’audace qu’il a de produire cette pièce. Car oui, de l’audace il lui en fallut ! Je vous invite à venir nous voir pour comprendre pourquoi.
Ce n’est pas votre première collaboration puisque, Bénédicte, vous étiez assistante à la mise en scène aux côtés de Christophe Segura dans la pièce de Virginie, Le ticket gagnant. En revanche vous avez ici pris seule les commandes. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
BB : Lorsque j’assistais Christophe, il m’avait déjà accordé beaucoup de liberté dans le processus de création et notre entente avait été très agréable. Même en étant seule, c’est une expérience qui s’avère très plaisante lorsqu’on travaille avec des comédiens inventifs, qui savent rester ouverts à différentes propositions. On se disait justement avec Virginie qu’on avait hâte d’être le lundi matin, après le week-end !
VC : Pour ma part, travailler avec Bénédicte est passionnant. Elle apporte sa propre vision du texte, qui vient enrichir le propos grâce à une mise scène subtile et audacieuse !
Que voulez-vous dire aux lecteurs qui pourraient être un peu effrayés par les sous-entendus du titre de la pièce, pour les rassurer et leur donner envie de venir la découvrir ?
VC : Chers lecteurs, je suis certaine que vous avez déjà dit ou pensé « pas de ça chez moi ! » vis-à-vis d’une idée politique, sociale, ou bien d’une communauté… Et si ce n’est pas quelque chose que vous pouvez dire en public, ne vous inquiétez pas, on le fait pour vous dans cette pièce. Je m’engage à ce que vous trouviez une part de vous-même, de votre voisin ou d’un membre de votre famille dans Pas de ça chez moi !
BB : C’est la phrase qu’on peut tous se dire intérieurement. Et là, par le biais de la comédie, tout s’inverse ; les digues lâchent et les personnages finissent par s’exprimer librement, sans penser aux tabous. Ça peut être réjouissant pour le spectateur, qui se reconnaîtra dans tel ou tel personnage ou qui croira reconnaître un proche.
Si vous deviez citer une comédie qui vous a particulièrement marquée, peut-être inspirée, au théâtre et pourquoi pas au cinéma, laquelle serait-elle ?
VC : Merci pour cette question car en y réfléchissant je comprends moi-même d’où vient mon amour pour la comédie… La première pièce que j’ai vu était Le noir te va si bien dans l’émission Au théâtre ce soir avec Maria Pacôme et Jean Le Poulain. Rire de ces personnages odieux, voilà ce que j’ai retenu et ce qui a, j’en suis sûre aujourd’hui, déterminé mon envie de rire du politiquement incorrect.
BB : Dans les comédies qui m’ont marqué, je repense à la chance que j’ai eue de voir les pièces de Jean Poiret, pleines d’esprit, de charme et de mauvaise foi ! Je pense aussi à celles d’Au théâtre ce soir, que je regardais enfant à la télévision. Et bien sûr, au cinéma le maître incontesté de la comédie, Louis de Funès, dont le jeu et les films ne se démodent pas et qui font toujours rire les enfants d’aujourd’hui, avec un coup de cœur particulier pour La folie des grandeurs.
Pour finir, pouvez-vous nous parler de vos projets pour le reste de l’année ?
VC : Mon premier long-métrage est actuellement en cours de production, donc j’ai au programme beaucoup de réécriture du scénario. Et un sujet qui commence à trotter dans ma tête pour une prochaine pièce qui sait ?
BB : Quelques projets de théâtre se profilent en tant que comédienne, mais en attendant, je repars à Avignon pour la 3e fois et suite à une très belle tournée en France avec Un cadeau particulier, la pièce de Didier Caron avec lequel je partage l’affiche avec l’auteur et Christophe Corsand. Hâte de continuer cette aventure formidable avec ma joyeuse équipe !
Actuellement au Théâtre Comédie Bastille
Par Mélina Hoffmann