ZOLA L’INFRÉQUENTABLE – À la genèse de « J’accuse »

Émile Zola était « infréquentable »… aux yeux de ceux qui le haïssaient ! Léon Daudet en faisait partie. La virulence de ce pamphlétaire nationaliste poussa Zola à prendre part à l’Affaire Dreyfus, faisant du romancier un « moment de la conscience humaine ». Zola mit alors en péril son prestige pour défendre Alfred Dreyfus, qu’il ne connaissait pas. Voici l’histoire méconnue du soir de 1895 où tout a commencé…

Qu’est-ce qui vous a interpelé dans le texte ciselé de Didier Caron ?

Pierre Azéma : Je connaissais déjà l’écriture ciselée, comme vous dites, de Didier Caron à travers son texte Fausse Note que j’ai interprété. Comment arrive-t-on à cette confrontation ? Quel est le cheminement intellectuel que vont emprunter les protagonistes ? C’est cela qui m’a interpelé.
Bruno Paviot : C’est la troisième fois que je collabore avec Didier Caron. Auparavant, c’était par le biais de comédies comme Un pavé dans la cour et Les nombrils. Ayant vu Fausse Note avec Pierre, j’étais très curieux de découvrir le texte sur un sujet grave. Je savais qu’il était très fort pour tout ce qui touche aux confrontations de visions engagées. Je n’ai pas été déçu ! Les idées de Léon Daudet me rappellent certains discours que l’on a pu entendre pendant les présidentielles. C’est exactement la même chose, c’est exactement la même rhétorique. C’est ce qui nous a mené à la Grande Guerre, la Seconde Guerre mondiale et aux camps de concentration.

Qu’avez-vous découvert sur Émile Zola que vous ignoriez ?

BP : Énormément de choses sur sa vie privée ! Je ne savais pas qu’il partageait sa vie avec deux femmes. Son exil à Londres après son « J’accuse » en pleine affaire Dreyfus m’était également inconnu. J’ignorais que « vraisemblablement », il ait été assassiné d’après les dernières thèses sur le sujet. J’ai découvert sa proche relation avec Alphonse Daudet et qu’il fréquentait un cercle d’individus antisémites, comme une grande partie du milieu littéraire à l’époque.
PA : La principale chose que j’ai apprise en dehors de ce qu’a évoqué Bruno que je ne connaissais pas également, c’est le courage qu’il lui a fallu pour écrire « J’accuse ». Je n’imaginais pas l’ampleur du danger qu’il encourait, ainsi que sa démarche pour y arriver. Zola n’était pas non plus le chevalier blanc que l’on supposait, il avait ses propres limites, ses propres démons. La complexité humaine, c’est aussi le thème de ce huis-clos que l’auteur met en exergue…
PA : Malgré toutes ces zones d’ombre que le spectacle évoque très bien, je ne savais pas le courage qu’il lui a fallu pour quitter la France pendant un an pour ne pas aller en prison, et il n’y serait pas resté longtemps de toute façon, mais surtout pour que son cas personnel n’interfère ni ne prenne le pas sur « L’Affaire Dreyfus ». Didier Caron lui fait dire une phrase dans son dernier monologue qui évoque bien le personnage : « Cette affaire m’a rendu plus propre. » Je trouve cela magnifique et résume toute l’évolution de l’homme dans l’affirmation de ses choix.
BP : À travers le prisme de Léon Daudet, comment rendre attachant un personnage aussi sordide et crapuleux ? Les propos qu’il tient sur les Juifs à l’époque, c’est bien pire que le niveau actuel ! C’est l’apparition d’un antisémitisme, non plus en rapport avec la religion, mais sur une théorie de la race qui sort de nulle part. La complexité dans mon jeu de comédien est de trouver l’humanité de ce personnage malgré tout…

Pourquoi voir cette pièce est-il indispensable pour toutes les générations ?

PA : Cela paraît tellement évident en voyant la pièce… Comme le rappelait Bruno par rapport à ce que l’on a pu entendre parfois pendant les élections présidentielles, c’est très caractéristique de ce qui pourrait nous attendre en sachant que nous l’avons déjà vécu. Et si les nouvelles générations pouvaient en prendre conscience ce serait formidable, je trouve !
BP : Je suis désespéré que l’on ne retienne pas les leçons de l’Histoire. Je crois qu’on ne les retiendra jamais… Mais de temps en temps un piqûre de rappel fait du bien. Si dans une salle de spectacles quelque soit la taille, nous arrivons à toucher un spectateur alors nous avons gagné.

Par Marc Bélouis

AU THÉÂTRE DE LA CONTRESCARPE