BIG MOTHER
Un thriller journalistique incontournable au Théâtre des Béliers Parisiens
Après le succès des “Crapauds fous” et de “La Course des géants”, Mélody Mourey frappe fort avec une création qui explore les rouages de la manipulation de masse à l’heure du big data. Sur scène, 6 comédiens font vivre une vingtaine de personnages, et propulsent le spectateur dans un tourbillon d’émotions intenses et étourdissantes. Interview croisée avec Marie-Laurence Tartas, Éric Chantelauze et Benoît Cauden, trois artistes captivants au cœur d’une aventure théâtrale unique.
Pouvez-vous pitcher Big Mother pour ceux qui ne connaissent pas encore la pièce ?
Marie-Laurence Tartas : Une poignée de journalistes découvrent un scandale hors norme, vont-ils arriver à le dénoncer et à faire éclater la vérité au grand jour ?
Comment décririez-vous vos personnages ? Qui sont-ils ?Qu’est-ce qui vous a ému ou bouleversé chez eux ?
Éric Chantelauze : Je joue Owen Green, chef du service politique du New York Investigation. Il mène son équipe avec détermination, mais les nouveaux modes de communication le dépassent et, journaliste à l’ancienne, il se sent vieillir. C’est la fragilité que l’on devine chez cet homme autoritaire et ironique qui me touche. Tout semble lui échapper, son équipe, sa femme, et surtout sa fille, il se débat dans un monde qu’il ne reconnaît plus.
Benoît Cauden : J’interprète Alex Cook, jeune journaliste au New York Investigation, et accessoirement fils du patron. Il est un peu premier de la classe, un peu maladroit, mais animé par de réelles convictions. Catalogué comme arriviste ou pistonné, il va devoir prouver à ses collègues qu’il doit sa place à ses réels talents de journaliste. Son évolution est très agréable à jouer, chaque scène est chargée d’enjeux multiples.
MLT : Pour ma part, j’interprète 9 personnages dans cette pièce ! Parmi eux se trouve Kate Blackwell : une journaliste passionnée par la vérité. Elle me touche profondément car elle incarne l’esprit d’équipe, comme au théâtre, et met tout son cœur dans son travail. J’ai pris un immense plaisir à me glisser dans tous mes rôles. À travers chacun d’eux, on engage une part de soi-même. C’est comme si le théâtre nous permettait de vivre plusieurs vies.
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour incarner ces rôles et nourrir votre jeu ?
MLT : La réponse est simple et essentielle : la vie. Je puise dans ce qui m’entoure, dans les émotions des gens que je croise, mais aussi dans mes propres expériences, lumineuses ou plus sombres. Tout est matière à nourrir le jeu !
BC : Alex Cook est assez loin de moi, n’étant pas moi-même féru de politique ou d’enquête sociétale. J’ai donc dû m’imprégner de l’ambiance d’une rédaction d’un journal politique à travers des films comme Les Hommes du Président ou Les Trois Jours du Condor afin de mieux cerner le quotidien des journalistes d’investigation.
EC : Je n’ai pas de modèle précis, mais j’ai toujours aimé les personnages qui luttent contre un système plus fort
qu’eux. Au début, j’avais une image un peu fantasmée des journalistes d’investigation, pugnaces, énergiques, tels qu’on peut les connaître à travers le cinéma. Mais avant tout, j’essaie de le ramener à moi. Comment aurais-je agi si j’étais devenu journaliste au lieu de comédien ?
Véritable thriller journalistique sur la manipulation de masse, la pièce sonne l’alarme : la démocratie est en péril dans notre société ultra-connectée. Réveiller les consciences, c’est l’une des missions du comédien ?
EC : Je suis fier de jouer dans une œuvre intelligente et pertinente sur le monde qui nous entoure. On ne sait jamais trop quel est l’impact des pièces engagées, avec une réflexion politique et sociale, mais si cela peut allumer une conscience ou susciter des discussions, c’est déjà énorme. Le théâtre est là aussi pour ça.
MLT : Je ne suis pas certaine que “mission” soit le terme le plus juste. En revanche, nous avons un accès privilégié pour transmettre une information, et parfois, une vérité. Que ce soit dans le drame ou dans la comédie, le fond reste le même : susciter une émotion. Lorsqu’on a la chance de servir un texte porteur de sens, c’est un immense privilège. Je pense à une citation d’Antoine Vitez : « Le théâtre est un champ de force, très petit, mais où se joue toujours toute l’histoire de l’humanité, et qui, malgré son exiguïté, sert de modèle à la vie des gens, spectateurs ou pas. Laboratoire des conduites humaines, conservatoire des gestes et des voix, lieu d’expérience pour de nouveaux gestes, de nouvelles façons de dire pour que change l’homme, qui sait ? ».
BC : Les personnages que nous interprétons sont mis sous pression en permanence au fur et à mesure des découvertes qu’ils font. Notre but est d’être évidemment le plus juste possible, ce que nous jouons n’est malheureusement pas très éloigné de la réalité, et même plausible dans un futur pas si lointain. Le public transpose naturellement les situations que l’on rencontre avec les similitudes qu’il peut trouver dans les sociétés occidentales modernes. Et on nous dit souvent que ça donne à réfléchir.
Big Mother se joue sur un rythme frénétique et ne vous laisse pas un instant de répit. Vous portez ce scénario avec engagement total et une folle énergie. Comment vous sentez-vous à la fin du spectacle ?
MLT : Épuisée comme après un marathon mais heureuse. Mais, à l’inverse d’une course, on est en équipe. Et c’est l’énergie du groupe, avec des comédiens géniaux, qui nous porte beaucoup. On se retrouve tous les soirs avec enthousiasme, et je pense que cette cohésion élève aussi le spectacle.
EC : Je me sens étonnamment énergisé, il m’arrive de sortir du théâtre plus en forme qu’en arrivant. Le rythme effréné, les enjeux si forts, font qu’on ne peut jamais se mettre en pilote automatique. Il faut être vigilant et attentif à chaque instant.
BC : Avec l’impression d’avoir été transpercé par un rouleau compresseur ! La dernière image de la pièce est très
marquante. Il y a toujours quelques secondes suspendues, dans le noir, avant les premiers applaudissements. Ce petit moment est nécessaire pour que nous puissions atterrir tranquillement, et le public aussi, après ces 90 minutes sous
tension.
La pièce triomphe depuis ses débuts et reçoit les éloges de la presse, comment expliquez-vous un tel engouement ?
BC : Le spectacle mêle habilement suspens, humour et drame. Les situations sont proches d’une réalité
qu’on aimerait ignorer mais qui fait de plus en plus partie de nos vies quotidiennes : manipulations diverses, super-pouvoirs, données informatiques utilisées pour orienter des envies, des opinions. C’est une chance inouïe de jouer dans une telle pièce, à la fois vectrice de messages, et divertissante malgré tout !
EC : Mélody Mourey a un sens de la dramaturgie et des dialogues impressionnant, avec des scènes courtes, des flash-backs, un montage très cut. Cette forme de narration correspond à ce que les gens apprécient et qu’ils retrouvent rarement au théâtre.
MLT : Elle a une vision forte à la fois pour dénoncer et alerter, pour ficeler des intrigues aussi théâtrales que cinématographiques. Et ce mélange donne un thriller haletant, qui colle le spectateur à son siège, et les comédiens au plateau !
Actuellement au Théâtre des Béliers Parisiens
Par Mélina Hoffmann