ASTAWI DEMBELE
Un périple poétique au Funambule
« Femmes au Bord du Monde » raconte l’exil à travers le périple de Pema, une jeune fille partie à la recherche de son père. Sur son chemin, elle rencontre des femmes d’horizons divers, partageant leurs langues, leurs espoirs et leurs luttes. Écrite et mise en scène par Astawabi Dembélé – dont c’est la première création, cette pièce onirique (Lauréate du Festival Nouvel Acte 2024) a vu le jour grâce à une collaboration étroite avec quatre comédiennes venues de Russie, des Îles Comores, de Colombie et d’Inde. L’autrice et metteuse en scène revient sur la genèse de cette œuvre, première étape d’une trilogie.
Comment êtes-vous arrivée au théâtre ?
Un accident de vie m’a ramenée à ce qui m’animait depuis l’enfance : raconter des histoires. Petite, je narrais des contes à mes frères et sœurs pour les endormir. J’avais suivi une trajectoire éloignée du théâtre, jusqu’à ce que cet événement m’amène à intégrer ARTA, à la Cartoucherie, à Paris. Là, j’ai découvert la mise en scène avec un metteur en scène indien qui m’a encouragée à le suivre en Inde. À Pondichéry, j’ai appris à mettre en scène dans un contexte qui m’était totalement étranger : une autre langue, une autre culture. Ce décalage m’a appris à trouver un langage universel, au-delà des mots, dans le silence, les corps, et les émotions.
Qu’est-ce qui vous a inspiré Femmes au Bord du Monde ?
Tout est parti d’un livre : I’m the Beggar of the World qui raconte les poèmes que des femmes afghanes se transmettaient en secret pour résister à l’oppression. J’ai été bouleversée par les formes de résistances et la créativité dont elles font preuve pour continuer à dire de la poésie, alors que ça leur est interdit. Ce point de départ consiste à tisser le fil du processus de création, autour des femmes, et des filles qui vont devoir, pour certaines, être sur les routes de l’exil. Ce fil nouait une relation intime avec ma propre histoire ainsi que celles des 4 comédiennes.
Comment commence Femmes au Bord du Monde ?
L’histoire débute avec Péma, une petite fille qui a du quitter son pays avec son père et sa petite sœur. En chemin, ils sont séparés, et Péma se retrouve seule dans une forêt. Elle rencontre une vieille dame intrigante, mais bienveillante, qui lui explique qu’elle doit trouver son propre chemin, lui soufflant : « Peu importe le chemin que tu prendras, il te mènera toujours à une frontière ». Voilà le point de départ de son périple !
Pourquoi avoir choisi de l’aborder à travers l’œil d’une enfant ?
La première raison de parler des enfants est qu’ils sont invisibles dans les narrations contemporaines autour de l’exil et que leur expérience et perception sont méconnues. Quand on est enfant, l’exil est une expérience décuplée, presque anecdotique dans ses détails, mais multipliée par les sensations. Tout devient intensément nouveau : la langue, les odeurs, les bruits, les musiques. Même les corps, leurs mouvements, les habits que l’on croise semblent étrangers. Chaque élément du quotidien est une découverte, une différence. Tout est différent, tout est autre, et l’on perçoit ces changements avec une acuité propre à l’enfance.
Vous vous êtes entourée essentiellement de femmes pour ce projet, était-ce important pour vous ?
Pour ce projet, c’était essentiel. Tout était nouveau, et j’avais besoin de m’entourer de femmes. Une comédienne m’a dit : « Nous étions des sages-femmes. Tu avais besoin de nous pour accoucher de ce spectacle. » Cette intuition résume parfaitement la dynamique qui s’est créée : une énergie collective, bienveillante et profondément créatrice.
Comment s’est déroulé le processus de création collective ?
Je voulais que cette pièce reflète la diversité des langues et des cultures. Les comédiennes apportaient leurs propres langues et leurs expériences, enrichissant la narration. Ensemble, nous avons travaillé sur les personnages et les scènes. La cohabitation des langues est quant à elle essentielle dans le spectacle : elle reflète non seulement les histoires d’exil, mais aussi la richesse de nos échanges. Cela m’a permis de construire un théâtre qui dépasse le cadre du français, un théâtre qui embrasse la pluralité.
Si tu étais un exil, tu serais quel genre d’exil ?
Je pense spontanément à de l’eau. L’eau trouve toujours son chemin. Elle peut couler paisiblement dans des rivières ou s’étendre dans l’immensité des océans, tour à tour calme et apaisante, ou déchaînée et dangereuse. L’eau, pour moi, c’est être toujours à la frontière : ni tout à fait au bord, ni complètement dedans, ni totalement dehors. C’est un état d’entredeux, en perpétuel mouvement.
A partir du 6 février, au Théâtre du Funambule
Par Sophie Geneste