BIG MOTHER
L’uppercut « Big Mother » nous assène un réveil salutaire
Après son triomphe avec les « Crapauds fous » et la « Course des géants », Mélody Mourey garde le rythme avec un thriller journalistique brillant et exaltant sur un sujet d’une brûlante actualité, la manipulation de masse. Dès le premier plan, les spectateurs sont saisis au collet, maintenus en apnée pour se retrouver essorés après un maelstrom d’émotions fortes.
C’est un thriller, un spectacle où l’on conseillerait presque d’attacher sa ceinture
Des scènes s’enchaînent, fluides et percutantes. La salle en immersion est toute entière emportée, ne sachant plus si elle est dans une série ou un spectacle vivant, dans une salle de cinéma ou dans une comédie musicale. Elle retient son souffle dans ce grand huit, ne le relâchant que pour rire parfois. On ne sait plus où poser les yeux. La virtuosité de la mise en scène, marque de fabrique déposée de Mélody Mourey, maintient notre attention suspendue.
DANS UNE CHAMBRE D’HÔTEL À HONG KONG, LES JOURNALISTES JULIA ROBINSON ET ALEX COOK TENTENT D’ÉCHAPPER À UN DANGER IMMINENT
La scène est en alerte dès les premières secondes ; dans une chambre d’hôtel à Hong Kong, les journalistes Julia Robinson et Alex Cook tentent d’échapper à un danger imminent. Ils s’apprêtent à révéler une gigantesque manipulation de masse. Cette entrée en matière donne le ton de la pièce entière. Le récit revient en flash back dans la salle de rédaction du New York Investigation, média d’investigation où une équipe de journalistes passionnés enquête alors qu’un scandale sexuel éclabousse le Président des Etats-Unis. Julia, Owen, Kate et Alex tentent de traquer la vérité, déjouant fake news et intox avant de mettre à jour le plus gros scandale touchant un président depuis le Watergate.
CETTE CRÉATION BRILLANTE SONNE AVEC ACUITÉ COMME UN AVERTISSEMENT
La journaliste Julia Robinson recroise Ethan, son compagnon qu’elle croyait mort quatre ans auparavant. Elle conduit cette double enquête qui mêle la grande histoire à son histoire intime. Une double quête de vérité qu’elle mène avec ferveur. Ces journalistes d’investigation sont confrontés à une enquête vertigineuse sur le détournement massif de données personnelles par le parti politique « Démocratie Totale » qui brigue la présidence. Parti qui, sous couvert séduisant de donner à chaque citoyen le pouvoir, permet de confisquer son libre-arbitre en aspirant une immense collecte de données personnelles.
La démonstration de Mélody Mourey est fine, intelligente et habile
Les rebondissements et les ponctuations d’humour nous livrent un propos aussi divertissant, passionnant qu’implacable. Une profonde réflexion sur l’inflexion de nos vie sous le joug invisible et sournois des nouvelles technologies. Fake news et théories du complot, autant de poisons distillés en masse sournoisement dans le flot naïf et captif de nos données personnelles. Mélody Mourey ne nous lâche pas. Sous une forme trépidante remplie de codes cinématographiques, le fond de son récit est solide, riche et étayé. Elle nous déroule avec perspicacité et clairvoyance les dangers des campagnes de désinformation et de manipulation que chacun alimente à son insu avec ses données offertes. Ce thriller journalistique met en lumière cette poignée de journalistes épris de probité et loyauté qui dépassent leurs différends, dernier rempart dérisoire pour protéger la vérité face aux assauts sans vergogne et sans éthique de la manipulation numérique.
Les six comédiens enchaînent scènes et rôles avec prouesse dans une chorégraphie millimétrée. Ils endossent avec virtuosité et fluidité les rôles d’une vingtaine de personnages. Karina Marimon, tour à tour mama juive, employée de banque ou secrétaire énamourée est irrésistible. Ariana Brousse, Patrick Blandin et Pierre-Yves Bon offrent à leurs rôles une fougue, une passion, une urgence communicatives. Marine LLado joue avec finesse la fille du rédacteur en chef piégée embauchée dans l’entreprise maléfique à la solde de « Démocratie Totale », Guillaume Ducreux est particulièrement glaçant dans le rôle du démagogue manipulateur. Ces comédiens nous laissent émus et troublés ; leur énergie nous embarque et nous convainc.
MÉLODY MOUREY NE NOUS LÂCHE PAS. SOUS UNE FORME TRÉPIDANTE REMPLIE DE CODES CINÉMATOGRAPHIQUES, LE FOND DE SON RÉCIT EST SOLIDE, RICHE ET ÉTAYÉ
Cette création brillante sonne avec acuité comme un avertissement. C’est un réveil vibrant et percutant sur nos vies, nos démocraties et nos libertés fragiles et assoupies. Au terme de cette expérience théâtrale époustouflante, si la salle est sonnée par l’électrochoc, elle se relève pourtant d’un seul geste pour une standing ovation. Ne manquez surtout pas cette nouvelle pépite addictive !
Par Sabine Komsta
Actuellement au Théâtre des Béliers Parisiens.