COMPAGNIES ÉMERGENTES 

À la découverte de projets prometteurs

Nous sommes allés à la rencontre d’artistes dont les premières créations se jouent ce printemps dans les théâtres parisiens. Ils racontent leurs projets et leurs visions du spectacle vivant, nous renseignant ainsi sur les contours du théâtre de demain.

Aubane de Gélis Autrice, co-metteuse en scène (avec Auriane Buchet) et actrice dans « ÆLLES » au Théâtre Lavoir Moderne Parisien. Les 5, 6, 7, 8/04 à 19h. Le 9/04 à 15h. 

Qu’est-ce que ÆLLES ? 

Il s’agit d’un seul en scène qui raconte l’histoire d’une femme fragmentée. J’ai pour habitude de résumer la pièce en une phrase : la traversée en solitaire d’une femme à la fois forte et vulnérable qui réconcilie ses différents visages. C’est une pièce sur la folie et l’intimité, plus précisément sur ce que j’appelle l’extimité : quand l’intimité se répand sur l’extérieur, sur ceux qui n’ont rien demandé. J’ai pensé ce spectacle comme un moment de folie contrôlé, où tout peut déraper assez vite. 

Quelle est la genèse de ce projet ? 

J’écris depuis une bonne quinzaine d’années des textes autobiographiques et fictionnels. J’ai eu envie de les jouer, réalisant qu’ils racontent une histoire, celle d’une vie oscillant entre optimisme et pessimisme. Je ressentais également une urgence à décrire la pluralité de l’identité féminine. Mon personnage, Omaya, raconte comment le monstre femme se compose d’une multitude de couches, fruits d’héritages et de fantasmes sur ce que devrait être la fémininté. Accompagnée par Auriane Buchet, j’ai donc mis en scène les pensées erratiques d’une femme qui veut à tout prix se raconter. 

Comment avez-vous travaillé la mise en scène ? 

Pour favoriser l’intimité avec le public mais aussi le bousculer, le 4ème mur est continuellement brisé. Nous avons imaginé l’espace comme une loge dans laquelle l’actrice répète une dernière fois avant de monter sur scène… sauf que le public est là. 

Qu’est-ce qui fait la singularité de ce spectacle ? 

Comme je l’expliquais, la proximité avec le public est décuplée. La pièce casse également les conventions dans sa forme, puisqu’elle embrasse alternativement les codes du seul en scène et du one-woman show. Des spectateurs ont d’ailleurs fait l’analogie avec l’univers d’Alex Lutz et de Blanche Gardin. Il s’agit en tout cas d’une pièce résolument sociale, qui s’adresse aussi bien aux femmes qu’aux hommes, sans pour autant être péremptoire : si cette femme assume sa pluralité avec beaucoup d’irrévérance, elle reste une anti-héroîne. 

Diane Lotus Autrice, metteuse en scène et actrice dans « Vie et mort d’un poète » au Théo Théâtre. 24, 25/05 à 19h30, 26, 27/05 à 21h30, 28/05 à 17h30.

Que raconte Vie et mort d’un poète ? 

Cette pièce retrace l’histoire d’un jeune homme dont le rêve est de devenir poète. La fiancée d’un grand éditeur tombe amoureuse de ses vers, lui permettant d’être publié et de rencontrer le succès. Il se heurte alors très vite à la réalité du métier et aux écueils de la réussite, qui contreviennent à tout idéal poétique… L’émotion et le rire – à travers la naïveté du personnage principal et la fantaisie de l’éditeur qui parle baroque – sont au cœur de ce spectacle. 

Comment est née cette pièce ? 

J’écris des poèmes depuis que j’ai 9 ans. C’est quand un comédien de la compagnie que je dirige (Les Coureurs de Jardin) a dit qu’il aimerait lire mes poèmes sur scène qu’est né le projet Vie et mort d’un poète. J’ai donc imaginé une trame narrative à laquelle j’ai intégré de la prose poétique et quelques écritures personnelles.

Comment avez-vous articulé la poésie et le théâtre dans votre travail ? 

L’enchevêtrement entre la poésie et les dialogues s’est assez naturellement imposé. Le vrai danger avec les spectacles poétiques réside dans l’effet de style sans corps et sans liant. Nous sommes donc très investis au plateau physiquement : la diction des mots doit immédiatement susciter des images ! 

Dans quel univers vos personnages évoluent-ils ? 

J’ai opté pour une scénographie simple, sans décorum ni faste : une étagère à disques tournante, un simple siège et le travail de lumières donnent toute sa dynamique à la pièce. Je me nourris par ailleurs beaucoup du théâtre de l’absurde de Ionesco, de l’univers de Tardieu et de la dimension poétique de Novarina. 

Un dernier mot ? 

Je pense à la maxime de Jouvet « au théâtre, il n’y a rien à comprendre, tout à sentir », qui résonne tout particulièrement dans ce spectacle poétique où les mots doivent être éprouvés plus encore que d’habitude.

Fanny de Montmarin Autrice et metteuse en scène de « Trouvons la Suite » (assistée par Sophie Geneste). Le Funambule Montmartre. Les 4, 11, 18, 25/04 et 2, 9/05 à 19h. Les 16, 23/05 à 21h. 

Trouvons la Suite, qu’est-ce que c’est ? 

C’est une comédie qui raconte l’histoire d’un couple et de leur fils Malfab (enfant mal fabriqué) qu’ils ont acheté en solde, le tout orchestré par une Prologueuse fantasque. Il s’agit d’un petit ovni ! Via l’absurde et la comédie, nous interrogeons les maux de notre société tels que la surconsommation, la starification et le rapport à la différence (à travers le thème du handicap). L’ensemble est porté par 4 comédiens dont un danseur. 

Comment est née cette pièce ?

Il s’agit d’une commande pour l’association de théâtre amateur que je dirigeais en 2019. À l’époque, une sensation de décalage m’a poussée à parler du monde qui m’entoure mais aussi de la place de ma sœur handicapée dans ce dernier. J’ai donc entamé l’écriture d’un long monologue, duquel a découlé la pièce. 

Dans quel univers s’inscrit cette histoire ?

Un univers foncièrement drôle et absurde. C’est une philosophie artistique et de vie chez moi : il convient de traiter les sujets sérieux avec humour. Cet univers est également très graphique et coloré, nourri par ma formation de couturière et l’univers artistique dans lequel j’ai grandi. La part belle est par ailleurs faite à la danse et à la musique, avec une majorité de titres co-réalisés avec Alexis Haddad et Guillaume Perrin.

« IL CONVIENT DE TRAITER LES SUJETS SÉRIEUX AVEC HUMOUR »

Fanny de Montmarin

Comment décririez-vous la mise en scène ? 

Il s’agit d’une mise en scène précise et rythmée : les chapitres s’enchaînent rapidement, à l’image de notre société. La scénographie est minimaliste : un looper, un micro suspendu et du scotch jaune fluorescent qui se déploie au fil de l’action. La corporalité des comédiens et le travail des lumières permettent quant à eux de faire exister les différents univers. 

Un dernier mot ?

Mon envie est de continuer à faire rire les gens tout en traitant des sujets qui me sont chers !

Lilou Clipet Actrice dans « FURIE » (création collective). Production : Anomalie et La boite à tapage.

Pouvez-vous nous décrire FURIE en quelques mots ? 

FURIE, c’est 10 femmes qui organisent un rituel chanté et dansé pour convoquer Lilith, la première femme sur terre. Abîmées par une société malade et misogyne, elles ont besoin de cette figure pour les guider et les consoler. Les incantations fonctionnent : Lilith se présente à elles. 

Comment est née cette pièce ? 

J’ai récemment perdu une amie de ma mère, prénommée Aurore. Il s’agissait du 131ème féminicide de l’année 2020. J’ai voulu créer une pièce qui lui rende hommage; le dernier monologue lui est d’ailleurs consacré et dit « je hurle pour celles qui n’ont plus les cordes vocales pour le faire ». Nous avons donc réuni un corpus de textes tirés des écritures mythologiques d’Eschyle, et des écritures de Léa Dubois. 

Dans quel univers s’inscrit cette histoire ? 

Nous avons imaginé ce spectacle comme une expérience immersive, qui embarque le public avec nous dans ce rituel : nous dessinons sur les murs, des odeurs d’encens se répandent et nous sommes dispersées partout dans la salle. L’esthétique est aussi très importante : les robes sont tressées avec du fil rouge, il y a beaucoup de tableaux de groupe et de mouvements d’ensemble très graphiques. Nous chantons et réalisons presque l’intégralité des musiques avec des percussions corporelles et un dunun, tambour d’Afrique de l’ouest. 

« NOUS ASPIRONS À UN THÉÂTRE QUI SOIT UNE CÉLÉBRATION, PLUS EXPLOSIF ET DÉCLOISONNÉ »

Lilou Clipet

Quelles valeurs et quels messages portez-vous à travers ce projet ? 

Nous aspirons à un théâtre qui soit une célébration (qui peut d’ailleurs être triste), plus explosif et décloisonné ! Grâce aux Soeurs Malsaines, collectif militant qui revendique la liberté et la tolérance à travers la fête, nous pouvons toucher des publics que nous n’aurions jamais vus au théâtre. Avec FURIE, nous voulions que les hurlements et les pleurs des femmes soient entendus par les masses : cela console un peu et redonne du courage. Il y a parfois des cris qui sont bons à entendre…

William Boutet Auteur et co-metteur en scène de « The Dreamer » (co-mise en scène Amélie Sureau) qu Théâtre de La Croisée des Chemins. Du 6 mai au 25 juin, les samedis à 19h et les dimanches à 17h.

The Dreamer, qu’est-ce que c’est ? 

The Dreamer raconte l’histoire d’un jeune homme -Marlone- qui part à la recherche de sa mère disparue deux ans plus tôt. Persuadé que cette dernière chante à Broadway, il se met en quête de devenir à son tour un chanteur célèbre, et part la retrouver aux États Unis. Le tout est porté par 6 comédiens sur le plateau, avec des moments chantés en plusieurs langues.

Comment décririez-vous l’univers de la pièce ? 

Je dirais qu’il s’agit d’une aventure musicale fantasmagorique ! Il y a quelque chose de burlesque et de comique, mais aussi d’un peu tragique : j’aime ce qui est fou, ce qui va loin. Cette première écriture est marquée par ma passion pour le cinéma et mon goût pour la comédie musicale, avec des références au Magicien d’Oz et Alice au pays des merveilles. La notion de récit initiatique et la centralité du rapport à la mère font également écho à l’univers de Peer Gynt. Cette pièce a enfin quelque chose de résolument américain : j’y rends hommage à mes origines américaines, tout en jouant des stéréotypes que l’on peut avoir sur les States. 

Comment avez-vous abordé la mise en scène ?

Accompagné par Amélie Sureau, j’ai travaillé à un endroit insolite et étrange : on ne sait pas véritablement dans quelle époque ni quel lieu se situe l’action. Amélie apporte un sens du détail et des effets comique qui est précieux. 

Un dernier mot ? 

Je suis ravi par cette première aventure, qui est née d’une carte blanche en 2ème année du Cours Florent. Le fait que nous soyons une jeune compagnie formée à la sortie de l’école est une vraie chance : la générosité des acteurs est immense, il y a un enthousiasme et un désir de jouer exaltants