Daniel Auteuil dans Le Malade imaginaire

Après « Les Fourberies de Scapin » et « l’École des femmes », Daniel Auteuil a choisi de s’attaquer à une pièce de Molière pour la troisième fois de sa carrière. Dans « Le malade imaginaire », qu’il a également mis en scène, le comédien propose un Argan empreint d’humanité.

Nous l’avons rencontré dans sa loge, une heure à peine avant la levée de rideau.

Pourquoi avez-vous choisi cette pièce mythique de molière ?

J’avais un vrai désir de revenir à Molière. On peut reprendre les grands rôles du répertoire tout au long de sa vie, car on n’en fait jamais le tour. Argan est l’un des personnages dont je me sens le plus proche. il y a peut-être aussi Harpagon, dans L’Avare, mais je ne suis pas sûr d’aimer assez l’argent, alors que j’aime la vie et tiens à ma santé. J’avais donc quelque chose à dire à ce propos. Ce qui m’a également intéressé, c’est le fait que ce soit une comédie.

 

Cette pièce est, dans l’écriture, celle d’un homme libre qui, d’un trait, sait dessiner un caractère, une scène…

C’est absolument génial. Et puis, il y a le fait que ce soit la dernière pièce de Molière. Comme il était malade pour de vrai, il a pensé la construction différemment. Lui est assis, et le mouvement se fait autour de lui, cela donne l’impression qu’il court aussi. Et puis il y a avait aussi un très beau rôle pour ma fille, et on avait envie de jouer ensemble.

Justement, pouvez-vous nous parler de cette première fois avec votre fille, Aurore ?

Nous savions que ce projet allait voir le jour depuis deux-trois ans, mais nous n’avons jamais travaillé à part. On en parlait un peu, mais à peine, par pudeur ou par protection, peut-être. Et parce que nous voulions tous les deux que, dans le travail, elle soit comme les autres. lLe père ne devait pas prendre le dessus. Il ne fallait pas que comme quand elle était petite, elle soit obligée de m’écouter. Ce qu’elle ne faisait pas d’ailleurs (rires). Travailler ensemble nous a apporté une légèreté retrouvée. Aurore a été une petite fille, une jeune femme, puis une femme avec des enfants… Donc nos relations étaient distendues, elle avait ses priorités, ses responsabilités, moi les miennes. Nous étions des adultes. Et là, nous avons retrouvé une sorte d’innocence.

Comment travaille-t-on une pièce de molière ?

D’abord, il faut s’attaquer au texte. Ensuite, on le réinvente en investissant son personnage et en venant sur scène libéré de la notion de théâtre classique, mais chargé de vie. Il est nécessaire de pouvoir s’appuyer avec confiance sur ce texte, le commencer au premier mot et le finir au dernier, sans essayer de faire de fioritures au milieu. C’est écrit comme une partition de musique. Nous avons beaucoup travaillé. Les répétitions ont été un très joli moment, studieux. On a répété pendant deux mois, huit à dix heures par jour, sans penser aux conséquences. c’était juste une espèce de laboratoire, de bulle dans laquelle nous nous sommes enfermés. Mais nous avons gardé un œil sur l’universalité de Molière. Il fallait toujours rester à l’écoute de ce que l’auteur disait.

Vous êtes à la fois comédien et metteur en scène sur ce projet. comment abordez-vous cette « double casquette » ?

Je me suis occupé des autres d’abord, et plus je m’en occupais, plus quelque chose venait. J’étais au milieu du cercle, et en donnant, peu à peu, ça me revenait. J’ai dit à la troupe qu’il fallait que le public ait l’impression d’entendre le texte pour la première fois, comme s’il avait été écrit la veille. Parce que le génie de Molière réside là-dedans : ça fait plus de 400 ans et ça nous parle encore !

Molière se moque des médecins et aborde la peur de la mort. Sous quels aspects cette comédie est-elle encore d’actualité ?

La pièce parle du poids que peut exercer sur nous quelqu’un qui est censé savoir comment notre corps fonctionne, quelqu’un qui peut nous sauver ou nous emmener à la mort. Elle parle de la supériorité scientifique qui pèse sur le commun des mortels. La pièce ne moque pas tant la médecine, mais les abus de la médecine. Comment des mauvais médecins peuvent tenir sous leur joug des âmes sensibles. L’hypocondrie d’Argan est particulière. Il peut effectivement mourir de sa pseudo-maladie par les remèdes, par les privations…Mais il s’en sert pour qu’on s’intéresse à lui et pour tyranniser les autres. C’est souvent ce que font les vieilles personnes d’ailleurs, Argan est un vieux bébé égoïste !

Comment avez-vous travaillé l’aspect comique de la pièce ? 

Je ne m’en suis pas préoccupé plus que ça, à part un truc ou deux. J’ai surtout travaillé sur la vérité, la sincérité des rapports humains. On a répété sans public jusqu’au dernier jour. Et le rire est arrivé avec le public, mais je pense que cela fonctionne uniquement parce que nous racontons l’histoire avec sincérité. Je suis toujours surpris avec Molière que ça soit aussi perceptible, et qu’il soit toujours autant branché avec le public. par exemple, il y a beaucoup d’enfants qui viennent voir la pièce. Malgré les mots compliqués, les situations sont claires et ils rient aux mêmes moments que les grands. Je l’ai monté de façon à ce que tout soit audible, très simple, je n’ai pas cherché à faire le malin.

C’est votre dernière fois avec Molière, croyez-vous ?

Je n’en sais rien du tout. Je suis superstitieux, vous me faites peur ! (rires) Tout ce que je sais, c’est que jouer cette pièce est un vrai plaisir. c’est une journée à attendre le soir. On pense à ça toute la journée, puis viennent la concentration et le trac, et après le plaisir. Cette pièce, c’est comme un slalom à ski. Il faut réussir un nombre incalculable de passages qu’on a répétés et répétés encore.

Pour finir, une phrase de la pièce qui vous interpelle, pour le plaisir de la langue ?

« Mais ce qu’il y a de fâcheux auprès des grands, c’est que, quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent.

Par Nadine Pernay

Théâtre de Paris, jusqu’au 25 mai.