ENTRE CHIEN ET LOUP

AuThéâtre de l’Odéon, Christiane Jatahy estompe les frontières entre la réalité et la fiction dans sa nouvelle création « Entre chien et loup », librement inspirée du film « Dogville » de LarsVonTrier. Une occasion exceptionnelle de découvrir sur scène le travail de cette artiste polyfacétique.

INTERVIEW CHRISTIANE JATAHY

Auteure, metteuse en scène et cinéaste, vous êtes devenue une référence du théâtre en Europe. Quels sont les éléments clés de votre théâtre ?

Tout d’abord, je travaille beaucoup sur l’idée de frontière, je cherche constamment à l’effacer et à ouvrir de nouveaux territoires afin de chercher d’autres points de vue. Je m’intéresse également à la relation entre le théâtre et le cinéma et à la manière de combiner les deux, tout en faisant en sorte que chacun conserve sa propre valeur. Bien sûr, cela est principalement possible grâce au travail incroyable que fournissent les acteurs. Enfin, je me penche sur la relation
qu’entretient le public avec la scène, notamment la relation dans l’espace.

Vous travaillez à cheval entre le Brésil et l’Europe, quelle est la situation actuelle de la création scénique en Europe et à l’échelle internationale ?

Originaire du Brésil, j’ai effectué toute ma formation là-bas. En Europe et au Brésil, les possibilités de développer une richesse de travail sont très différentes. Là-bas, les artistes mènent une lutte perpétuelle pour obtenir une forme de reconnaissance ainsi qu’une continuité dans leur recherche artistique. En France en revanche, il y a un respect envers les artistes de théâtre que je considère unique au monde. Recevoir les artistes et les soutenir fait partie de la culture française. En Europe, c’est différent, tout comme la manière de travailler et de penser le théâtre. Cependant, l’accueil du
public reste le même dans le monde entier.

En général, vos travaux oscillent entre la frontière de la réalité et de la fiction, de l’acteur et du personnage.
Que va rencontrer le spectateur qui s’intéresse à l’une de vos créations ?

Cette relation entre réalité et fiction fait partie intégrante de mon travail d’artiste. Dans certaines de mes œuvres c’est la réalité qui entre dans la fiction alors que dans d’autres c’est l’inverse (Le Présent qui déborde). Cette ambiguïté permet au spectateur de mieux comprendre ce qu’il se passe actuellement dans nos sociétés.

Vous êtes une artiste associée auThéâtre de l’Odéon. Comment est née cette aventure ?

Je suis associée depuis l’arrivée de Stéphane Braunschweig à la direction de l’Odéon. Dans chacun de mes projets,
Stéphane et Didier (Juillard) se montrent très ouverts et me soutiennent dans la construction de mon œuvre. Nous avons instauré au fil du temps une véritable relation de confiance dans laquelle les opportunités sont nombreuses. La qualité de la direction au sein du théâtre est pour moi sans pareille.

Entre chien et loup est une adaptation libre du film Dogville de Lars vonTrier. Pourquoi ce titre et pourquoi le mettre en scène ?
Le titre de la pièce est une référence au moment où nous ne savons pas exactement ce que nous sommes en train
de voir. Nous revenons à l’idée de frontière, de transition. Entre chien et loup est également une référence au film de Lars Von Trier que j’admire beaucoup. J’utilise le film pour montrer comment le fascisme et la déshumanisation de l’autre peuvent survenir dans une petite société sans que l’on s’y attende. Julie Bernat arrive dans cette société fictionnelle dans la pièce et a l’espoir de changer la situation et les autres. Elle lutte sans cesse mais est rattrapée par la violence qui y règne.

Entre chien et loup renvoie à ce moment de la journée où il fait encore trop sombre pour distinguer un chien d’un loup. C’est une métaphore très juste pour définir cette période actuelle non ?

C’est une parabole parfaite de ce qu’il se passe au Brésil actuellement. Nous savons que le danger est partout, le fascisme est arrivé d’une manière presque invisible. Cette pièce est l’occasion de parler de la stupéfaction générale devant ce qu’il s’est passé. Grâce à la fiction il est possible de refléter cette réalité.“Comment faire pour changer cela ?” est l’une des questions centrales de la pièce.

Qu’aimeriez-vous provoquer chez les spectateurs avec Entre chien et loup ?

Je veux provoquer une réaction artistique et une réaction politique, afin que nous nous penchions sur le fait que le fascisme sort peu à peu de l’ombre et gagne du pouvoir. Il n’y a pas un seul masque de l’horreur. Les gens peuvent se transformer et dire des choses qui vont à l’encontre de leur idéologie de base. Cette réalité est représentée par les personnages de ma pièce.

Par Vanessa Ramiro et Julia Barbaran