LA MAISON DU LOUP

Une interview de Benoit Solès et Anne Plantey

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Benoit Solès est le créateur de « La Maison du Loup », actuellement au Théâtre Rive Gauche. Il partage l’affiche avec Anne Plantey et Amaury de Crayencour. L’auteur et comédien aux deux Molières nous plonge dans les dernières années du romancier de aventurier Jack London, et imagine les circonstances de la conception de son dernier chef d’oeuvre, « Le vagabond des étoiles », paru en 1915.

Benoit Solès, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous intéresser à Jack London ?

Benoit Solès : C’était la pièce d’après La Machine de Turing, un grand succès aussi merveilleux qu’un peu paralysant. Je me demandais ce que j’allais faire après, le public me le demandait aussi. Tout ce que je savais, c’était que je voulais une pièce qui parle de voyage, d’aventure. Et c’est dans cet état d’esprit que je suis tombé sur un exemplaire de Martin Eden en 2019. Sur la 4ème était écrit « Martin Eden, le chef d’oeuvre de Jack London avec Le Vagabond des étoiles« . Quelques mois plus tard, j’ai fini par m’intéresser à ce fameux vagabond que je ne connaissais pas, et alors que nous étions tous confinés, je lisais ce livre qui parle d’un condamné qui se retrouve. à l’isolement et cherche à s’évader par la force de l’esprit ! Puis, j’ai découvert que le personnage qui avait inspiré le héros de Jack London, Ed Morrell, avait vraiment existé et qu’il avait, à la mort de l’écrivain, revendiqué être Le Vagabond des étoiles. On sait qu’ils se sont connus, qu’Ed a transmis son histoire à Jack, mais on ne sait pas trop comment. Alors, m’est venue l’idée d’inventer, sur une base biographique très peu fournie, cette rencontre, en imaginant que Charmian, l’épouse de Jack, une femme forte, aurait pu être le déclencheur de cette rencontre. Car je voulais avant tout écrire un rôle pour Anne.

Anne Plantey, vous interprétez ici avec une énergie solaire l’épouse de Jack London, Charmian, qui apparaît comme la force de ce duo. Q’espère-t-elle de cette rencontre entre cet ancien prisonnier humaniste révolté et son mari ?

Anne Plantey : Elle est effectivement la plus forte des deux à ce moment-là, parce que Jack, que l’on connaît comme un auteur flamboyant qui a vécu 1000 vies, connaît une mauvaise passe. Il est très alcoolique, accro à la morphine, n’a plus d’inspiration et a donc beaucoup de mal à écrire. Il a un peu perdu l’idéal socialiste qui l’animait, qui a fait ses romans. Charmian a le sentiment d’avoir perdu l’homme, mais aussi l’écrivain dont elle est tombée amoureuse. Quand elle découvre l’histoire d’Ed Morrell, elle y voit l’étincelle, le moyen de redonner de l’inspiration et du souffle à son mari qui en a cruellement besoin. Cet Ed représente pour elle tout ce que son mari n’est plus. Ce qui peut d’ailleurs être un danger, évidemment, parce qu’elle a en face d’elle un homme qui a tout ce que son mari avait et l’attirait.

La mise en scène est signée Tristan Petitgirard, une collaboration que l’on retrouvait déjà dans La Machine de Turing, pièce 4 fois Moliérisée. Qu’est-ce qui, selon vous, fait que cette collaboration artistique fonctionne aussi bien ?

BS : C’est une collaboration qui est même plus ancienne que ça, car on se connaît depuis de longues années et on s’est beaucoup retrouvés sur Rupture à domicile, la pièce de Tristan, qu’on a jouée plus de 400 fois pendant 4 ans. La Machine de Turing nous a liés encore un peu plus tous les trois, parce que Anne participait au travail de mise en scène. On ne s’est pas quittés depuis 7 ans. Pour Anne et moi, il y a aussi une ancienneté liée à notre jeunesse, à nos racines du Lot-et-Garonne. Quand je l’ai vue, jeune élève et comédienne, j’ai tout de suite su qu’on se retrouverait. Parce qu’elle avait du talent bien sûr, mais aussi parce qu’elle avait l’étincelle !

AP : Au-delà de notre amitié indéfectible, il y a aussi une très grande honnêteté entre nous dans le travail. On a un regard très acéré l’un sur l’autre, on se parle, on se fait des retours, mais avec une bienveillance et une confiance absolues. C’est un point important de notre amitié, cette loyauté. C’est très rare de pouvoir tout se dire entre acteurs, sans susceptibilité.

Sur scène, vos deux personnages sensibles ouvrent des parenthèses de douceur, qui viennent contraster avec l’animalité qui se dégage de la rencontre entre Ed et Jack. Est-ce que cela rend les choses plus faciles de se connaître aussi bien, ou cela peut-il, au contraire, être un piège ?

AP : Ce qui est paradoxal, c’est que ça nous facilite la vie parce qu’on se connaît par coeur, aussi bien dans la vie qu’en tant qu’acteurs… mais ça nous la facilite tellement que, parfois, il faut qu’on fasse attention à ce que notre complicité ne se voie pas trop ! Il arrive qu’on nous dise : « Là, on ne peut pas croire qu’ils viennent de se rencontrer !« 

Benoit, vous n’êtes pas seulement l’auteur de la pièce, vous incarnez aussi brillamment l’énigmatique Ed Morrell. A-t-il tout de suite été évident pour vous que vous interpréteriez ce rôle ? Pourquoi ne pas avoir choisi celui de Jack, joué avec brio par Amaury de Crayencour ?

BS : Je me suis un peu projeté dans chacun, étant moi-même un peu des deux ! Mais il y a dans ce personnage cabossé de Ed, et notamment dans son rapport à l’injustice quelque chose qui me touche énormément. Il parvient, comme Turing, à sublimer son destin après avoir été injustement broyé par le système. Sa force mentale me fait aussi penser à celle de mon frère, ancien sportif de haut niveau qui s’est retrouvé tétraplégique suite à un accident de voiture, et qui s’est créé une autre vie et parvient à faire de très belles peintures. À la fin de la première lecture de la pièce, où je lisais Jack, ça m’est apparu comme une évidence que je devais incarner Ed.

On est immédiatement happé par la poésie du décor de Juliette Azzopardi, qui nous transporte en pleine nature sauvage et qui offre l’écrin parfait à l’intensité émotionnelle et physique de la pièce. Comment ressentez-vous ce décor ? Est-ce un élément qui vous porte ?

AP : On l’adore ! C’est presque un quatrième personnage pour nous.

BS : J’avais décrit cette terrasse, cette maison, ce bateau échoué dans cette propriété… J’ai voulu faire appel à un illustrateur de bande-dessinée de génie et célèbre dessinateur des romans de Jack London, Riff Reb’s. Puis Juliette a apporté cette magnifique touche de poésie. On est dans un monde l’immédiateté, de la rapidité et je voulais que La Maison du Loup soit un peu « à l’ancienne », avec un très beau décor, trois acteurs qui jouent leur rôle, une unité de temps et de lieu, une histoire qui démarre lentement et qui monte en puissance, en révélant peu à peu les personnages tout en permettant la contemplation. Beaucoup de spectateurs nous disent « On a adoré prendre le temps, on a eu l’impression de s’asseoir sur la terrasse de cette maison l’espace d’une soirée… on s’est laissé embarquer comme des enfants écoutant un conte…« 

Alan Turing, Jack London… Benoit, quels autres grands personnages auriez-vous envie de porter à la scène ou pourraient vous inspirer pour une future création ?

BS : On me propose d’écrire beaucoup de bio pics et pour l’instant mon instinct, que j’écoute beaucoup, m’a dicté de ne pas le refaire. Donc je me suis détaché de ça avec ma prochaine pièce, Le secret des secrets, qui est une comédie dramatique se déroulant sur plusieurs époques pour quatre jeunes comédiens. Je vais la mettre en scène, mais je n’y jouerai pas. Et s’il y a une base historique, il n’y a pas de grand personnage dont on raconte la vie. Je ne veux surtout pas m’enfermer dans un style, un système, ou pire encore, dans ce que je croirais, sans doute à tort, être une recette.

Quand peut-on s’attendre à découvrir cette nouvelle création ?

BS : Elle va véritablement éclore au printemps prochain. Il y aura une série d’avant-premières au Théâtre d’Antibes, la grande première officielle au festival de Terre-Neuve, en Vendée en juin 2024, puis elle se jouera au Festival d’Avignon l’été prochain, et j’espère à Paris en 2025.

Une dernière phrase, à l’attention de nos lecteurs, pour leur donner envie de vous applaudir (si ce n’est pas encore fait) ?

BS : Sans doute qu’à la minute où ils lisent l’interview, ils sont assis dans une salle de théâtre, en train d’attendre que le rideau se lève, peut-être même d’attendre que l’on entre en scène au Théâtre Rive Gauche ! Alors j’ai envie de leur dire « Merci et continuez d’aller au théâtre ! » Parce qu’on a besoin de vous, de votre regard. Le public est notre ultime partenaire, on l’entend respirer, rire, applaudir, on l’attend, on l’espère. Sans lui, il n’y a pas de théâtre.

Au Théâtre Rive Gauche

Par Mélina Hoffmann