LES RAISINS DE LA COLÈRE
Interview de Xavier Simonin
Pour la première fois, le grand roman américain prend vie sur scène dans une adaptation théâtrale et musicale signée Xavier Simonin. La pièce plonge le public dans l’odyssée de la famille Joad durant la Grande Dépression, sur fond de route 66, et trouve un écho particulier dans les défis contemporains. Accompagné de trois musiciens talentueux, Xavier Simonin ne se contente pas d’adapter : il devient conteur, incarnant l’âme du roman dans un spectacle qui promet une expérience mémorable.
Comment êtes-vous arrivé au théâtre ?
À mon arrivée en France – après une enfance en Afrique où j’étais habitué à une vie en plein air et assez extravertie – je me suis donné en spectacle devant mes camarades de collège que je trouvais trop sérieux ! Cela m’a donné le goût d’être face à un public. Aussi et comme pour beaucoup de ma génération, des figures emblématiques comme Belmondo ont contribué à asseoir ma vocation pour le spectacle !
Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce spectacle ?
Cette pièce est en réalité la suite d’un premier succès : L’or de Blaise Cendrars, que nous avons adapté avec le talentueux musicien Jean-Jacques Milteau. Cette création qui devait se cantonner à une série de vingt représentations, s’est transformée en une tournée de dix ans. Reprendre le chemin de la création ensemble s’est imposé comme une évidence, à la fois comme une continuité de notre collaboration mais aussi comme un prolongement naturel de l’histoire que nous avions commencé à raconter. En effet, L’Or retrace la conquête de la Californie et la découverte du grand ouest au XIXe siècle, et Les Raisins de la colère évoque une migration vers la Californie au XXe siècle sur fond de crise écologique et économique des années 30. D’ailleurs, le héros de L’Or est mentionné dans Les Raisins de la Colère lorsqu’il est question de « la Terre de Sutter ».
Comment avez-vous abordé le texte de Steinbeck pour cette création ?
Le premier élément qui m’a saisi dans le texte de Steinbeck, c’est sa musicalité. Ses mots, et c’est souvent la marque des grands auteurs, portent en eux une force d’imagerie et de sonorité incroyable. La démarche d’adaptation a ensuite consisté à identifier les éléments narratifs essentiels à conserver, tout en respectant la poésie et le point de vue de l’auteur. S’appuyer sur la version américaine m’a par ailleurs permis de capturer cette « musique » du texte, essentielle à la transposition scénique.
Comment transposer un tel voyage sur scène ?
La musique joue un rôle central dans cette transposition. Elle agit comme un vecteur sensoriel puissant, surtout lorsqu’il s’agit de représenter des éléments aussi vastes que la route 66 : l’harmonica et la guitare incarnent immédiatement les dizaines de pages de description de Steinbeck. Le choix du conte permet également de rester fidèle à la langue de Steinbeck : je suis seul sur scène pour incarner une quarantaine de personnages. De cette façon, nous espérons plonger le spectateur dans l’épopée de la famille Joad avec une intensité maximale.
Quels titres musicaux accompagnent la pièce ?
Le spectacle navigue entre le répertoire traditionnel américain – folk, honky tonk, blue grass, country music – et des chapitres de Steinbeck que j’ai intégrés comme des paroles de chansons. C’est une démarche qui permet de faire résonner le texte de Steinbeck de manière rythmique et mélodique, enrichissant ainsi l’expérience théâtrale.
Qu’apporte la musique au spectacle ?
La musique crée une connexion émotionnelle immédiate avec le public. Elle transcende la barrière de l’intellect pour toucher directement les sens. J’affectionne particulièrement cette possibilité de marier l’aspect visuel et tangible du théâtre, la dimension intellectuelle du verbe, et l’émotion pure que procure la musique.
En quoi ce spectacle résonne-t-il avec l’actualité ?
Le point de départ historique du spectacle est une catastrophe climatique couplée d’une crise économique : une tempête de poussière force les habitants du centre à migrer. Ce récit fait donc écho à nos préoccupations actuelles sur le climat, la migration, mais aussi l’essoufflement du modèle capitaliste. Par ailleurs, l’oeuvre suit des agriculteurs qui luttent pour s’assurer une vie décente et préserver leur outil de travail, ce qui résonne particulièrement avec l’actualité. Le clin d’oeil ultime est sans doute celui-ci : la première du spectacle est tombée le jour de la grève des agriculteurs !
Quels projets pour la suite ?
Après avoir raconté les USA du XIXe avec L’Or, du XXe avec Les Raisins de la colère, nous aimerions parler des USA d’aujourd’hui. Le défi réside dans le choix d’un auteur contemporain dont les textes réunissent ces critères : poésie et bien évidemment, musicalité !
Actuellement au Théâtre Michel
Par Sophie Geneste