MAUVAISE PETITE FILLE BLONDE

La fragilité de l’innocence

©Marie-Charbonnier

Torse nu et en jupe sur scène, Antonio Interlandi interprète avec brio une « Mauvaise petite fille blonde», écrite et mise en scène par Pierre Notte. L’artiste aux multiples facettes nous accorde une interview sur son dernier rôle faussement enfantin.

À titre personnel, comment vous êtes-vous préparé pour incarner cette petite fille ? Pouvez-vous expliquer le choix de ce costume minimaliste ? 

J’ai décidé de ne pas décider les choses en avance. Il fallait laisser agir les deux « corps » en même temps, celui du comédien et celui de la petite. Pierre a proposé un cadre physique précis et cette contrainte est devenue mon moteur pendant toute la pièce. Elle me permet de me tenir à distance et de faire de la place à la petite fille. Le costume conçu par Alain Blanchot ouvre la possibilité de cet univers enfantin. Une armure souple, avec laquelle je peux mener ce combat ! 

Vous avez été formé à l’Académie de Danse Classique Princesse Grace de Monaco, comment ce rapport personnel à la danse et à la musique a influencé votre interprétation du personnage? 

Le corps tout entier est investi dans cette étrange façon de dire le texte, il est indissociable du jeu. Pierre a intégré des parties dansées, des petits entractes. Ce sont des moments de respiration qui ouvrent l’espace de vie de la petite fille. Ce texte est une écriture poétique par sa forme, ses rimes et son rythme et je l’ai abordé comme une partition. Pierre Notte nous emmène avec justesse dans le monde de cette enfant pour mieux comprendre son point de vue… 

Avez-vous vécu, dans votre enfance, une situation qui vous rapproche de votre personnage ? 

Tout enfant a vécu des moments affreux d’injustice. La petite s’en sort avec les moyens qu’elle a et je la défends sans la juger. Je me suis identifié avec sa vivacité d’esprit. Enfant, je parlais très vite et mon raisonnement allait à une allure de dingue. Mais la vraie inspiration pour moi a été un documentaire réalisé par Claire Simon que Pierre m’a montré. Des enfants de sept/huit ans qui jouent dans une cour de récréation. Leur cruauté est extraordinaire.

La pièce démontre à quel point une situation d’injustice peut transformer quelqu’un. Pouvez-vous affirmer que la complexité du personnage a bel et bien une portée universelle ?

À quoi servirait de jouer à représenter quoi que ce soit si ce n’était pas le cas ? La Mauvaise petite fille blonde, c’est une sorte de petit monstre. C’est la bête immonde qui dort,et qu’on réveille par un petit choc de rien du tout, un malentendu, un mauvais mot au mauvais moment. Elle a quelque chose de nous tous, c’est une enfant joyeuse, cruelle, drôle, méchante, inconsciente, et normale. Elle n’est pas le diable. Elle pourrait aussi s’appeler Marine. Nous avons tous connu et nourri, à un moment ou à un autre, ces sentiments terribles, cette petite barbarie en nous, ce racisme, ce rejet, ces petites horreurs qui peuvent pousser en nous. C’est cette fragilité qui nous intéresse… 

« MAUVAISE PETITE FILLE BLONDE C’EST… LA BÊTE IMMONDE QUI DORT, ET QU’ON RÉVEILLE PAR UN PETIT CHOC DE RIEN DU TOUT. »

Au fur et à mesure de la pièce, votre personnage prend une tournure inattendue qui ne laisse pas le spectateur insensible. Qu’est-ce qui provoque, d’après vous, une telle réaction ? 

Il s’agit pour moi d’être à la fois tout à fait elle, la petite fille, et tout à fait moimême. Je dois assumer l’homme et l’enfant. Sans être jamais dans la reproduction du réel raconté. Avec Pierre, nous avons travaillé à l’édification d’une sorte d’incarnation brûlante, sans jamais être dans l’illustration ni l’imitation de la naissance d’un monstre. Le spectateur ou la spectatrice construit tout, il s’approprie, imagine, dessine, choisit sa petite fille. Il repart avec elle… Et Pierre comme moi-même n’aimons pas les projets confortables, qui « arrangent », on ne veut laisser personne insensible, jamais !…

« LE SPECTATEUR OU LA SPECTATRICE CONSTRUIT TOUT, IL S’APPROPRIE, IMAGINE, DESSINE, CHOISIT SA PETITE FILLE. IL REPART AVEC ELLE… »

Qu’est-ce que vous retiendrez de cette première collaboration avec Pierre Notte ? 

Nous sommes passés par différentes étapes de travail pendant presque un an de répétitions et Pierre a été d’une créativité, d’une écoute, d’une patience et d’une confiance hors pair. Je lui en suis très reconnaissant.

Par Daana Jassani.

Au Studio Hébertot.