BÉRÉNICE

Une tragédie classique intemporelle

© Sophie Boulet

Plus de trois cents ans après sa première représentation à l’hôtel de Bourgogne, la pièce « Bérénice » de Jean Racine, sans cesse revisitée, est de retour sur les planches de la Scala à Paris. Dans une mise en scène volontairement contemporaine et dépouillée, Muriel Mayette Holtz privilégie dans cette élégie dramatique, non sans audace, l’exaltation lyrique de l’expression de l’amour et de son renoncement suprême avec comme égérie Carole Bouquet.

Une dramaturgie du silence

 « Il ne s’agit plus de vivre, il faut régner », tels sont les mots que prononce Titus (Frédéric de Goldfiem) à sa bien aimée Bérénice (Carole Bouquet); lorsque celui-ci est brusquement investi du pouvoir impérial à la mort de son père, l’empereur Vespasien. Alors qu’il lui avait promis le mariage, Titus choisit la raison d’état et est contraint de revenir sur cette parole qu’il croyait inaltérable. Telle une partition que l’on déchiffre à mesure que les notes se dévoilent, ce sont ici les signes de cette entente secrète ponctuée de silences qui font sentir au spectateur combien la puissance du passé sature la scène. Ce sont ces mêmes silences qui orchestrent progressivement la rupture à venir et dont Bérénice ignore encore les conséquences dévastatrices. La promesse rompue, c’est son ami et confident Antiochus (Jacky Ido) qui est chargé d’annoncer la terrible nouvelle à la reine de Palestine. Reine dont il est secrètement amoureux.

Inquisitrice amoureuse oscillant entre hardiesse et résiliation, l’héroïne racinienne interprétée par Carole Bouquet se fait l’herméneute de chaque silence, de chaque soupir. Pourtant Bérénice le sait, portée par un consentement tragique, elle doit renoncer à Titus et quitter Rome. Non seulement elle ne cède pas à l’empereur mais elle lui résiste, elle l’éprouve et elle achève son parcours par un acte de renonciation suprême. Dans cette mise en scène, c’est toute la puissance et le sublime d’un devoir féminin fondé sur la résistance et le renoncement qui est magnifié. 

Un temps suspendu dans une douce mélancolie 

C’est dans une chambre d’un loft New-Yorkais que le drame se déroule. Le lit, autrefois élément incontournable du théâtre de boulevard, reprend ici sa place originelle. Déployé au centre de l’espace scénique, il est la superposition de la fonction conjugale et funèbre de l’amour impossible entre Titus et Bérénice. Il est le symbole de la dissolution de ce couple qui partagera une dernière étreinte avant de rompre définitivement. Source d’inspiration pour de nombreux artistes, cinéastes et metteurs en scène, l’influence du peintre Edward Hopper offre une grande profondeur symbolique, une étrangeté attirante, une atmosphère mélancolique qui vient mettre en lumière les ressorts poétiques de Racine. Le jeu des couleurs, des lumières (François Thouret) et la géométrisation des volumes du scénographe Rudy Sabounghi permettent au spectateur de se concentrer essentiellement sur les personnages, de capturer ces moments de vides et de silences emprunts d’attente et de désirs. C’est dans cet écrin épuré à l’extrême que Bérénice, peut contempler un temps suspendu qui bientôt ne sera plus, ce temps plein d’espoirs et de possibilités permettant de s’aveugler devant la catastrophe trop durement pressentie.

« UNE HISTOIRE D’AMOUR SE RACONTE AUTOUR D’UN LIT… IL ME FALLAIT UN CADRE TRÈS BEAU, ROYAL ET PRESQUE NEUTRE, OU IRRÉEL, C’EST POURQUOI J’AI VOULU UN TABLEAU DE HOPPER, POUR QUE LA CONTEMPORANÉITÉ N’AIT PLUS D ‘ÂGE. »

MURIEL MAYETTE-HOLTZ

La musicalité des Alexandrins comme clé de voûte de la tragédie racinienne

Bien que d’importantes coupes aient été opérées sur le texte original, la metteure en scène Muriel Mayette-Holtz n’en n’a pas pour autant dénaturé la musicalité des vers du dramaturge. À l’image de sa mise en scène volontairement minimaliste, le jeu d’acteur s’adapte à cette singularité et reste sobre et élégant. Frédéric de Goldfiem interprète avec force et retenue l’impuissance d’un puissant, tandis que Jacky Ido sublime l’alexandrin, sortant ainsi Antiochus de son rôle secondaire auquel celui-ci est bien trop souvent relégué. Carole Bouquet majestueuse exprime avec grâce le renoncement sublime à l’amour et au pouvoir de Bérénice, faisant ainsi de son personnage une héroïne contemporaine. Combattante magnifique, c’est avec force que la comédienne insuffle ce renoncement qui dénouera l’écheveau de l’intrigue dont finalement elle est le véritable vainqueur.

« RACINE, C’EST COMME LA MUSIQUE DE MOZART, JE NE M’EN LASSE PAS ET, COMME J’AI L’ÂGE POUR JOUER BÉRÉNICE, J’EN PROFITE. »

CAROLE BOUQUET

Par Zoé Dupey.

Du 18 janvier au 19 février à La Scala Paris.