ÉCRIRE SA VIE

Lumière sur la dernière création de Pauline Bayle

© Simon Gosselin

Elle est la nouvelle directrice du Théâtre Public de Montreuil ; mais elle est avant tout une prodigieuse metteuse en scène. Pauline Bayle nous montre une fois de plus son talent grâce à un spectacle hommage à l’oeuvre de Virginia Woolf.

© Julien Pébrel

Portrait d’une artiste

Pour Pauline Bayle, le théâtre est sa propre « chambre à soi », selon la formule de Virginia Woolf. C’est l’endroit où l’intime devient collectif, où une idée prend forme grâce à l’accord d’artistes aux talents divers : comédiens, costumiers, techniciens, metteurs en scène… Et la jeune femme est un talent pur. Diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique en 2013, elle n’a cessé de travailler au raffinement de son art. Actrice de temps en temps ; elle vibre et s’exprime le mieux lorsqu’elle est metteuse en scène. Bayle s’est d’ailleurs fait une spécialité d’adapter sur les planches les romans de divers auteurs. Chanson douce de Leïla Slimani pour le Studio-Théâtre de la Comédie Française, ou encore les Illusions Perdues de Balzac, pour lequel elle reçoit le Grand Prix du meilleur spectacle théâtral de l’année, de la part du Syndicat de la Critique. Fin 2021, elle est nommée directrice du Nouveau Théâtre de Montreuil par la Ministre de la Culture, et prend ses fonctions en janvier 2022. L’image du théâtre est rajeunie, tandis qu’il est renommé Théâtre Public de Montreuil.

La genèse d’une oeuvre

C’est donc dans son théâtre que Pauline Bayle présente sa dernière création, Écrire sa vie. La pièce s’inspire largement du roman Les Vagues, de Virginia Woolf. Rien d’étonnant, si l’on sait que la rencontre littéraire de l’artiste avec l’autrice britannique lui a fait l’effet d’un choc il y a plus de vingt ans, lors de sa première lecture de Mrs Dalloway. Plusieurs de ses romans suivent alors, et ancrent l’affection de la metteuse en scène pour Woolf. Elle partage d’ailleurs sa fascination pour cette virtuose de la langue anglaise avec Marguerite Yourcenar, qui s’applique à traduire Les Vagues en 1937, six ans après sa parution. C’est probablement cette traduction qu’elle ouvre d’ailleurs en mars 2020, tandis que le monde s’arrête. Le roman est construit en six monologues, chacun narré par un membre d’un groupe d’amis. On les suit d’une enfance merveilleuse à un âge adulte assombri par les deuils et la guerre, trait autobiographique pour la romancière. Ils sont unis par un amour profond pour un autre ami, qui n’a pas voix au chapître mais dont on connaît la vie et le caractère par leurs descriptions successives.

TOUTE LA MAESTRIA DE PAULINE BAYLE, ET DE L’ÉQUIPE QUI L’ENTOURE, EST AU SERVICE DE L’OEUVRE DE WOOLF

En un roman se concentre donc le passage du temps, l’affaiblissement ou le renforcement des liens qui les unissent, leurs rêves et leurs désillusions. Un livre d’autant plus percutant pour Bayle, qui sent sa vie lui filer entre les doigts à cause du confinement. Sa décision est prise : elle adaptera Les Vagues au théâtre. Mais Écrire sa vie n’est pas une adaptation fidèle ; le style de Woolf, dit flow of consciousness, ressemble à une suite de pensées intimes, introspectrices, qui se perdent parfois en digressions. Difficile de transmettre cette particularité via l’art de l’expression et de la déclamation. Afin de nourrir son projet, la créatrice a ainsi lu le journal de l’autrice, ses divers essais et même sa correspondance. Résultat : les noms changent, la trame s’assouplit et les mots se libèrent pour laisser place à l’improvisation et la réécriture. L’oeuvre en encore plus riche, complète et universelle.

L’art de mettre en scène le temps qui passe

Sur scène, 6 comédien.nes se donnent la réplique. Ils mettent toute leur énergie à donner vie à des personnages forts, plongés dans le contexte lourd d’une guerre imminente. Le plateau se veut le reflet de Nora (Hélène Chevallier), Tristan (Guillaume Compiano), Judith (Viktoria Kozlova), David (Loïc Renard), George (Jenna Thiam) et Céleste (Charlotte van Bervesselès); il est donc en constante évolution. La naïveté de l’enfance, l’aspect léger et joyeux de la vie est incarné par 30 ballons rouges surdimensionnés qui habillent la scène. La table de banquet, autour de laquelle ils se réunissent à plusieurs occasions, se couvre de mets au fil de l’intrigue, tandis que les jeux de lumière font passer les saisons et forment les tableaux. Toute la maestria de Pauline Bayle, et de l’équipe qui l’entoure, est au service de l’oeuvre magistrale de Virgina Woolf. Plus qu’une simple retranscription, Écrire sa vie transcende les limites imposées par le format et le propos du roman, afin de créer une oeuvre hommage, mais autonome.

Jusqu’au 21 octobre, au Théâtre Public de Montreuil

Par Léa Briant