LA PRIAPEE DES ECREVISSES

Interview d’Andréa Ferréol et Vincent Messager

© Fabienne Rappeneau

Après avoir conquis le festival d’Avignon, la pièce de Christian Siméon, « La priapée des écrevisses », arrive à Paris à partir du 15 mars, au Théâtre Les enfants du Paradis. On y retrouve Pauline Phelix ou Aurélie Frère et Vincent Messager ou Erwin Zirmi, aux côtés de la grande Andréa Ferréol qui interprète l’un des personnages les plus fascinants et scandaleux du XXe siècle : Marguerite Steinheil, dite la Pompadour de la Troisième République.

Cette pièce nous emmène à la rencontre d’une femme fascinante et mystérieuse qui a beaucoup fait parler d’elle : Marguerite Steinheil. Pouvez-vous la présenter à nos lecteurs ?

Andréa Ferréol : Les gens pensent ne pas la connaître, jusqu’à ce que l’on dise « c’est la femme dans les bras de laquelle est mort Félix Faure » ! Issue de la petite bourgeoisie industrielle de l’est de la France, ses parents l’ont mariée très jeune à un homme plus vieux, qui préférait les hommes et dont la peinture ne se vendait pas. Elle a rapidement dû se débrouiller pour pouvoir vivre. N’ayant pas de métier, tout ce qu’elle avait à sa disposition c’était son corps. Elle devient alors une femme que les hommes admirent. Elle ouvre une maison à Meudon, où se rendent les hommes les plus importants et les plus riches de son époque, dont Félix Faure, qu’elle retrouve régulièrement dans le salon d’argent de l’Élysée… jusqu’à ce qu’il décède. Puis, il y a les meurtres de sa mère et son mari. On l’accuse, elle va en prison, elle est acquittée, et l’État français la paye pour qu’elle se taise. Elle part alors en Angleterre avec sa fille, épouse un Lord, s’achète une respectabilité, elle est même reçue à Buckingham, prend le thé avec la reine ! Un jour, son mari meurt et elle est répudiée par la famille. Elle part alors avec sa fille au Maroc, organise un faux enlèvement et l’État français paye une seconde fois. Elle est morte en 1954, avec ses secrets.

Vincent Messager : Elle est en effet connue pour avoir été la maîtresse de Félix Faure… Ça a été un drame car ils vivaient une vraie histoire d’amour. Il avait tellement confiance en elle qu’il lui avait confié un journal dans lequel il notait beaucoup de choses qui concernaient l’État. Après sa mort, Georges Clémenceau le raillait en disant « Il a voulu être César, il a fini Pompée ! ». Neuf ans après, on la retrouve attachée à son lit et bâillonnée, avec le cadavre de sa mère et de son mari dans la maison. Durant les procès qu’elle a gagnés (car les juges et les avocats faisaient partie de ses amants), elle accusait tout le monde, mentait, créait de fausses preuves… Ça a fait la Une de la presse et lui a valu beaucoup de surnoms comme la Pompadour de la IIIe République, la Veuve rouge ou encore la Sarah Bernhardt des Assises.

Comment s’est passée votre rencontre avec cette sorte d’héroïne de la Belle Époque et quels ont été vos premiers sentiments à son égard ?

AF : De la fascination. Je l’adore ! C’était une femme haute en couleurs, généreuse de son corps, intelligente je pense, qui avait certainement beaucoup de culture. Je serais bien incapable de faire tout ce qu’elle a fait ! C’était aussi une grande coquine. Il y a beaucoup d’allusions au sexe dans le texte et ça m’amuse énormément ! C’est une femme qui se raconte avec ses drames, ses soucis, sa sensualité, sa force.

VM : Elle avait du pouvoir sur les hommes et s’est battue sans relâche. À son époque, je trouve ça extraordinaire. Elle était très libre et chuchotait quand même à l’oreille du président de la République ! À votre avis, que dirait-elle aux femmes d’aujourd’hui qui se battent pour leurs droits et leurs libertés ?

AF : Elle s’est battue à sa manière. Pour vivre déjà, puisque son mari ne rapportait pas d’argent à la maison. Le seul métier qu’elle a pu faire et qu’elle a fait avec beaucoup de talent, c’est donner son corps. C’était une femme d’une grande liberté, féministe avant l’époque, et je pense qu’elle serait d’accord pour que la parole se délie comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut absolument que les choses se disent, se sachent et que la justice fasse son travail.

VM : Elle leur dirait ce que pourrait leur dire une madame de Maintenon ou une madame de Montespan. Ce sont des profils très similaires à des époques différentes. Des femmes combatives qui détiennent le pouvoir et tiennent tête aux hommes, il y en a toujours eu et il y en a toujours.

Dans cette pièce, le personnage de Marguerite Steinheil passe son temps à… faire la cuisine ! La Grande Bouffe pourrait-on dire ! Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

AF : La cuisine, c’est une excuse. C’est une pièce coquine sur une femme d’exception qui a eu une vie incroyable, qui ment tout le temps, saute du coq à l’âne, raconte par bribes sa vie, ce qu’elle a fait avec les hommes. Elle les a tricotés, bricolés, machinés, elle a su les prendre.

VM : La pièce se déroule dans le château où elle vivait en Écosse, après la mort de son mari. Un journaliste vient l’interviewer pour essayer de connaître la vérité. Fidèle à elle-même, elle lui en fait voir de toutes les couleurs, change d’avis et décide finalement de le recevoir dans sa cuisine où elle va préparer le plat préféré de Félix Faure : les écrevisses à la présidente. Elle y fait ce qu’elle a toujours fait : des caprices, des scènes, elle décide de tout, elle ment et l’assume complètement. 98% de la pièce est vraie et dans les dernières minutes on lance une piste qui pourrait être la bonne sur ce qu’on a appelé l’affaire de l’impasse Roussin.

La pièce a déjà beaucoup tourné et a rencontré un franc succès au Festival d’Avignon. Comment le public l’accueille-t-il ? Quels sont les retours que l’on vous fait ?

AF : Comme je parle pendant une heure dix, la première réaction des gens c’est « Comment faites-vous pour retenir tout ce texte ? » Comment elle fait, eh bien elle travaille ! (rires) Ils sont également étonnés par ce personnage dont ils ont entendu parler mais dont ils ne connaissent pas toute l’histoire.

VM : Le public est surpris par l’originalité de la pièce, aussi bien dans sa construction que dans ce qu’elle
raconte. Les gens rient, s’amusent, découvrent, sans forcément réaliser qu’ils sont en train de voir l’histoire d’une femme qui a vraiment existé. Et ils sont évidemment fascinés par la performance
d’Andréa.

Vincent, avez-vous envisagé plusieurs comédiennes dans le rôle de Marguerite Steinheil, ou Andréa Ferréol s’est-elle imposée comme une évidence ?

VM : Je travaille avec Christian Siméon depuis de nombreuses années et je voulais monter cette pièce depuis un an et demi, mais je ne savais pas avec qui. Quand j’ai travaillé avec Andréa sur Amour, gloire et secrets, que j’ai vu comment elle jouait, je me suis dit : Marguerite, c’est elle ! Elle correspondait à l’image que je m’étais faite de ce personnage, de son caractère et il y a aussi un énorme clin d’œil à La Grande Bouffe. Elle jouera également le rôle de madame de Montespan dans la pièce d’Erwin Zirmi, Les deux reines, que je mets en scène et dont la première aura lieu le 14 juin à Aix.

Andréa, on vous connaît pour les nombreux films, téléfilms et pièces de théâtre dans lesquels vous avez joué. Après plus de 50 ans d’une incroyable carrière, y a-t-il un film, une œuvre, un rôle qui vous fait rêver ?

AF : Je suis tellement occupée que je n’ai pas vraiment le temps d’avoir envie d’autre chose ! Vincent et moi travaillons sur Les deux reines, pour mon festival à Aix-en-Provence, « Flâneries d’art contemporain dans les jardins aixois ». Je tourne également un téléfilm, un film [de Jacques Otmezguine, ndlr], Le choix du pianiste, puis La priapée des écrevisses arrive à Paris en avril ; Amour, gloire et secrets sera en tournée à partir de septembre, puis je serai à Bordeaux pour jouer dans la série Alexandra Ehle, aux côtés de Julie Depardieu

On ne vous arrête jamais ! Et votre passion est très communicative !

Tout le monde me dit « repose-toi, tu en fais trop ». Quand je suis fatiguée, je me repose et au bout d’une demi-heure, je suis moins fatiguée et je recommence ! Il faut être passionnée, se lever positive qu’il fasse beau ou pas. Il faut aimer la vie !

Jusqu’au 25 mai, aux Enfants du Paradis

Par Mélina Hoffmann