NIKI DE SAINT PHALLE, VIVRE !

Interview de Juliette Andréa Thierrée

Juliette Andréa Thierrée incarne avec une vraisemblance troublante l’artiste Niki de Saint Phalle. Femme complexe, émotive, énergique, elle a marqué le paysage international de ses statues reconnaissables à leurs formes et leurs motifs psychédéliques, les « Nanas ». Sur scène, on est mis face à la plasticienne, à ses réflexions et à sa poésie.

Vous incarnez sur scène une femme passionnante, une des trop rares artistes peintres et sculptrices à avoir laissé une trace dans l’Histoire de l’art. Quel a été le déclic, qu’est-ce qui vous a donné envie de lui redonner vie ?

Le déclic arrive en 2014, en sortant de l’exposition au Grand Palais qui lui est consacrée. Je souhaitais écrire un spectacle qui mette en relief tous les questionnements d’une femme : la famille, la maternité, la vie conjugale, l’art, le travail, la vieillesse. Comment conjuguer tous ces rôles ? Je travaillais autour de cette thématique lorsque j’ai été saisie par l’histoire de Niki, en écho avec sa démarche artistique. Elle s’empare de ce qui la travaille pour créer : les mariées, les femmes qui accouchent, les prostituées… Vous êtes à la fois autrice, metteuse en scène et actrice ; vous avez créé cette œuvre presque de toutes pièces. Y’a-t-il un de ces rôles, une étape du processus que vous appréciez particulièrement ? La première phase d’écriture a été jubilatoire pour moi : j’étais habitée par les personnages : sa mère, Jean Tinguely, sa fille, le conservateur du Centre Georges Pompidou, le psychiatre, sa psy. Je créais des dialogues. Il y a eu beaucoup de joie et de surprise dans cette phase-là du travail.

Vous décrivez cette pièce comme une invitation au voyage, à entrer dans la respiration de Niki de Saint Phalle. Comment avez-vous transmis cela dans votre texte ?

Niki parle vite, elle avance très vite dans l’existence, au risque de se consumer. Elle ne laisse rien l’abattre, même pas les obstacles qui, au contraire, la stimulent : elle est traversée par un feu. Elle court, elle ne cesse de créer mais pour échapper à quoi ? La pièce essaye de répondre à cette question.

Vous êtes accompagnée de Jean-Luc Chanonat à la lumière, de Salina Dumay aux costumes, et avez pour collaborateur Marcello Zitelli, spécialiste de l’artiste. Quels regards, quels conseils vous ont-ils apportés ?

Marcelo me disait sans cesse pendant le travail : « Ne fais rien surtout. Quand tu ne fais rien, tu ES Niki ». Il m’a aussi incitée à aller plus loin dans mon écriture. On a interrogé ensemble la dimension visionnaire de Niki, son rapport à la société, à la lutte contre le racisme, à l’égalité homme femme. Chanonat, un très grand éclairagiste, m’a proposé de lui jouer Niki ; je l’ai fait sans rien, aucun accessoire, aucun décor ni costume. Il m’a dit : « Tu dois la jouer comme ça, sans rien, en faisant toi-même les bruitages et en mimant les objets ». Une complicité est née. Mia Delmaé a rejoint l’équipe pour créer une bande originale sur mesure, en entrant elle aussi dans l’imaginaire de Niki. Sa musique permet à la pièce de respirer. Quant à Salina Dumay, elle a un grand talent de création et un goût très sûr en matière de théâtre. Parler de Niki, c’est aller de 1929 à 2002. Comment traverser le temps, la mode de toutes ces décennies et le style de l’artiste, qui évolue au fil de ses changements intérieurs ? Niki, c’est l’aristo punk attitude !

Avez-vous eu quelques retours de la part de personnes ayant connu Niki de Saint Phalle personnellement ?

Oui, beaucoup, énormément. Pour commencer, Bloum, sa petite fille qui est aussi en charge de l’œuvre de Niki et n’est pas fan de théâtre. Elle est venue assister à la première en 2018. À la fin du spectacle, elle s’est effondrée dans mes bras. Il y aussi eu Dave Stevenson, qui fait partie de la fondation avec Marcelo Zitelli, et qui était l’homme d’affaires de Niki. Il était très bouleversé par notre ressemblance, qui était également physique. Quant à certains spectateurs, ils pensaient que j’étais de sa famille !

Dès le 25 avril, au Studio Hébertot

Par Léa Briant