Richard Berry ou l’art du plaidoyer

© Mary Brown

Seul sur scène, l’acteur Richard Berry déclame dans « Plaidoiries » cinq textes de ténors du barreau. L’occasion d’évoquer des affaires judiciaires ayant fait l’histoire de ces quarante dernières années.

Par Nadine Pernay

Pouvez-nous en dire plus sur Plaidoiries ?

Cette pièce réunit cinq plaidoiries de grands avocats. Il faut savoir que l’enregistrement des plaidoiries est interdit dans les tribunaux. C’est donc la première fois, en quelque sorte, que l’on va pouvoir les écouter et les voir sur scène. Les textes sont issus d’un ouvrage du journaliste Matthieu Aron.

Comment les avez-vous sélectionnés ?

Nous avons écarté les affaires trop anecdotiques, même si certaines étaient passionnantes. Il fallait qu’elles aient une forme universelle. La première est l’affaire Véronique Courjault, cette mère qui a congelé ses bébés. Son avocat Henri Leclerc a défendu l’indicible. La deuxième est l’affaire Papon. L’avocat des parties civiles, Michel Zaoui, a comparé dans sa plaidoirie le crime contre l’Humanité au crime de droit commun. La troisième est celle de l’avocat Paul Lombard, qui a essayé d’éviter la guillotine à Christian Ranucci, l’avant-dernier condamné à mort français. La quatrième plaidoirie (de Jean-Pierre Mignard) évoque l’histoire de Zyad et et Bounna, ces deux jeunes de Clichy morts électrocutés alors qu’ils étaient poursuivis par la police. Et la dernière est celle de Gisèle Halimi, qui a défendu le droit à l’avortement.

Comment, selon vous, les avocats peuvent-il faire évoluer la société ?

J’ai récemment parlé avec Gisèle Halimi, la grande avocate ayant défendu le droit à l’avortement dans une affaire de viol sur une jeune fille de 16 ans. Ce procès a eu de réelles répercussions. Elle a reçu des milliers de lettres. Mais c’est surtout grâce au retentissement de ce procès que Simone Veil a pu s’emparer du sujet à l’Assemblée. Dans certains cas, l’impact des mots peut aller jusqu’à faire voter des lois.

Comment avez-vous travaillé ces textes, que vous n’aviez donc jamais entendus ?

Le journaliste Matthieu Aron a retranscrit une cinquantaine de plaidoiries. Il les a annotées, et s’est parfois adressé directement aux avocats pour les récupérer. Un avocat lui a même refait sa plaidoirie en direct ! Les textes sont donc très précis. C’est finalement comme lorsque l’on lit et travaille un monologue pour le théâtre. La teneur des mots suffit pour savoir comment faire passer les émotions. Mais, à la différence des acteurs, les avocats sont à la fois les auteurs et les interprètes de leur texte. cela donne une force de conviction encore plus grande.

Y a-t-il une plaidoirie qui vous touche plus que les autres ?

Il y en a trois, en fait ! Celle de Leclerc, d’abord, dans l’affaire des bébés congelés. Au départ, je ne voulais pas la faire. C’est un crime terrifiant, monstrueux, mais la plaidoirie est très émouvante. L’avocat demande à son audience « l’impossible », d’avoir « un autre regard ». J’ai aussi beaucoup d’admiration pour l’intelligence et la clairvoyance de la plaidoirie de Zaoui dans l’affaire Papon. L’avocat y détaille comment les criminels contre l’Humanité ne peuvent pas avouer, puisqu’ils sont les maillons d’une chaîne, que le crime passe de main en main. Et puis, il y a celle de Gisèle Halimi. Cette plaidoirie est tellement moderne et d’actualité. Et le fait que je sois un homme est très intéressant. La robe de l’avocat me désociabilise et me désexualise aussi.

Que souhaitez-vous que les spectateurs retiennent en sortant de la salle ?

J’espère susciter le débat, que chacun se positionne, s’insurge, ne soit pas d’accord avec l’un des verdicts… Je pense que ce spectacle doit donner à réfléchir. il y a une phrase du psychiatre jung qui dit : « Penser, c’est difficile, c’est pourquoi la plupart se font juges. ». J’aimerais que ce spectacle permette aux gens de penser plutôt que de juger.

 

Au Théâtre Antoine.